Pour
mon trousseau, j'avais acheté différentes petites choses au cours des
années. Ma mère m'avait donné des couvertures qu'elle avait depuis
longtemps, mais qu'elle conservait dans son propre coffre de cèdre. La
robe, je l'avais déjà.
Une
semaine avant le mariage nous sommes allées à Trois Rivières acheter ce
qui me manquait. Une jupe, quelques blouses, une robe d'été, des
sous-vêtements et un costume de voyage. Ma mère m'avait confectionné un
ensemble de déshabillé. Il était très beau, elle était vraiment une
bonne couturière. Cependant, on ne peut pas dire que j'avais été très
exigeante pour mon habillement, juste le strict nécessaire.
Le
costume de voyage que ma mère avait choisi, je le détestais. Je n'en
voulais pas car il me vieillissait. J'avais l'air d'une femme de
quarante ans. Et dans ce temps-là, les femmes de cet âge avaient l'air
d'en avoir vingt de plus, alors... J'avais vu un beau petit costume à
mon goût, à la dernière mode et qui ne coûtait pas plus cher. Mais il
tombait un peu droit aux hanches, il n'était pas ajusté, vous
comprendrez que c'est pour cette raison que ma mère n'en voulait pas.
Pourquoi ?
Bien,
elle pensait que les gens auraient pu croire que j'étais enceinte si je
n'avais pas eu la taille bien cintrée. Pauvre d'elle, les gens qui
passaient leur temps à porter des jugements ne se gênaient pas. Et ce
n'est pas un petit costume qui les empêcherait de médire.
Il
y avait une commère dans le village qui inscrivait toutes les dates des
mariages dans un carnet. Elle faisait ensuite le décompte pour voir si
un enfant naissait avant les neuf premiers mois du mariage. Ensuite, elle
colportait la nouvelle.
Elle n'était pas très gentille!
Non,
vous avez bien raison, elle faisait plus de mal que bien des amoureux.
Mais elle allait à la messe tous les matins. Le reste du temps, elle
faisait de la calomnie et de la médisance. Ce qui était absurde c'est
qu'elle était, malgré tout, considérée comme une très bonne personne.
Une réputation ne valait pas cher entre ses mains.
Trois
jours avant le mariage, nous avons eu la permission d'aller tous les
deux rencontrer un notaire pour signer nos papiers. C'était la première
fois que nous partions seuls tous les deux en auto, sans chaperon, avec
la bénédiction des parents. Papa nous avait même prêté son auto. Le temps
avait été bien calculé et moins de deux heures plus tard, nous étions
de retour.
As-tu fait un grand mariage ?

Nous , papa et Céline en fille d'honneur, on voit maman en arrière de moi
Oui,
mes parents avaient invité toute la parenté du Lac-St-Jean et du
Nouveau- Brunswick. Ils avaient aussi invité tous leurs amis et les
patrons de mon père. Il y avait une centaine de personnes de
mon côté au mariage. Du côté de Jean, ils étaient cinq, son frère Louis, sa sœur
Céline, sa sœur Pauline, son oncle qui lui servait de père et enfin sa
tante, la sœur de sa défunte mère.
Nous avions presque toujours assisté à tous les mariages de mes cousins et cousines, et ils nous rendaient cette politesse.
Jean n'avait pas les moyens de s'acheter un habit. Il avait
loué pour l'occasion un veston blanc et un pantalon noir. Le matin du
mariage, quand on est venu lui livrer le veston, il y avait une grosse
tache dans le dos. Le vendeur lui en a trouvé un autre un peu moins chic
mais qui lui allait très bien.
Je
l'ai trouvé bien beau, quand même. Je n'avais pas l'habitude de le voir
aussi bien vêtu. Je crois que je ne l'avais jamais vu avec une chemise
blanche et une cravate.
As-tu eu de beaux cadeaux ?
Les
cadeaux que nous recevions dans ce temps-là n'étaient pas aussi
dispendieux que ceux que les mariés reçoivent aujourd'hui. Comme nous
n'avions pratiquement rien de neuf, tous les cadeaux reçus nous
comblaient.
Jean garderait ce qu'il y avait dans "son loyer " si ses sœurs n'en
avaient pas besoin. Il n'y avait pas grand luxe dans ce que nous avions à
notre disposition. Malgré tout, ce que nous avons reçu en argent nous a
permis de faire un petit voyage de noces et de nous acheter un set de
cuisine chromé qui était à la mode du temps.
Mes parents nous avaient offert un set de chambre que nous aurions aimé choisir, mais..., il était quand même très apprécié.
Bien
entendu, ces noces ont coûté très cher à mes parents, pourtant, nous n'en demandions pas tant, mais j'étais quand même très contente de
voir toute la parenté.

Ici nous retrouvons une partie de la parenté de mon coté

Les invités du coté de Jean....
Est-ce qu'il faisait beau le jour de ton mariage ?
Oui,
très beau et très chaud, plus de 90 degrés F. La cérémonie du mariage
était à dix heures. Nous devions nous rencontrer à la sacristie pour la
confession. Quand Jean m'a vue arriver, il était bien content. Il m'a dit
qu'il avait tellement peur que je ne vienne pas. Pauvre lui, cela
faisait tellement d'années qu'il m'attendait.

Est-ce qu'il y a eu une réception après ?
Naturellement,
nous sommes tous allés dans un très bel hôtel, Le St-Alex. C'était un
gros hôtel entouré de sapins et de gros pins. Juste devant, il y avait
un petit lac, avec les montagnes autour. C'était vraiment un bel
endroit.
Pour
une petite paroisse comme St-Alexis, la réception a été très réussie.
L'endroit était assez spacieux, et avec la chaleur qu'il faisait à
l'extérieur, nous étions heureux de nous trouver dans une grande salle
fraîche, entourés de gens heureux de se retrouver. La grande majorité des
invités qui venaient de l'extérieur en étaient à leur premier voyage
dans notre beau coin de pays.
La
journée du mariage s`est passée comme dans un rêve. Nous avons quitteé la
réception vers 15 heures pour partir en voyage. On avait malgré tout
l'impression que tout ce monde n'était pas là pour nous, mais pour mes
parents.

Ici nous nous préparons à partir en voyage avec le costume que je n'ai jamais porté par la suite.
Et ton voyage de noces ?
Avec
de l'argent que nous avions reçu en cadeau, nous avons loué l'auto d'un
cousin de Jean. C'était une auto neuve et nous étions heureux comme des
enfants à qui on fait enfin confiance.
Du
jour au lendemain, notre statut avait changé. Traités en enfants hier,
nous étions projetés dans le monde des adultes sur le simple fait d'avoir signé quelques papiers.
Où êtes-vous allés en voyage ?
Devinez
! J'aurais aimé aller au Nouveau-Brunswick. Mais comme tous étaient
venus au mariage, il n'y avait personne pour nous recevoir. De plus,
comme nous n'avions l'auto que jusqu'au samedi, nous n'aurions pas eu
assez de temps. Nous avons décidé d'aller au Lac-St-Jean, malgré que
nous en avions rencontré plusieurs au mariage, il en restait toujours et
les autres auraient le temps de revenir. En fait, nous n'avions pas non
plus assez d'argent pour aller plusieurs soirs à l'hôtel.
Pour
Jean, la destination importait peu. Il n'avait pas eu l'occasion de
visiter ni l'un ni l'autre. Je crois bien qu'au fond de lui-même, il
était aussi content d'avoir une auto pour quelques jours que d'avoir une
femme à ses côtés. Il me disait en blaguant que l'auto, il ne l'avait
que pour quelques jours tandis que moi, il m'avait pour la vie.
Franc mais pas trop sentimental, en tout cas, hi hi.
Le
premier soir, nous sommes allés coucher au Cap-de- la-Madeleine,
petite ville un peu dépassé Trois Rivières. Nous étions en train de
souper au restaurant du motel quand nous avons aperçu deux personnes qui
demeuraient dans notre village.
Quand ils se sont mis à chuchoter après nous avoir aperçus, ils
devaient penser que nous étions en fugue, nous avons joué le jeu. Nous
avons fait semblant de nous cacher. Nous pensions à leur mine quand ils
s'empresseraient de raconter notre escapade aux gens de notre village.
Comme
il faisait très chaud, nous ne pouvions demeurer au motel. Nous avions
le goût de prendre l'air et de marcher un peu. Il y a à cet endroit un
centre de pèlerinage reconnu dans toute l'Amérique du Nord, le
Sanctuaire de Notre-Dame-du-Cap. Nous nous y sommes rendus et avons
demandé la grâce de vivre ensemble en harmonie et de toujours nous
aimer.
Chaque année, depuis maintenant 1955, nous y retournons à la fin juillet pour demander toujours la même grâce.
Nous
sommes partis très tôt le matin. Jean est un lève-tôt, moi, j'aurais
dormi encore quelques heures. J'avais besoin de beaucoup de sommeil mais,
il avait tellement le goût de conduire l'auto que là, c'était sa
priorité.
Le
paysage est très beau tout le long du St-Laurent en allant vers Québec.
Nous étions bien, nous étions grisés par cette nouvelle liberté qui
était pour nous une inconnue. Nous étions vraiment des enfants! Nos
parents qui nous avaient tellement surveillés auraient été surpris de
voir que le simple fait d'être ensemble et de faire enfin connaissance,
nous suffisait, hi hi... pour l'instant.
Je
crois que la liberté est un des sentiments qui m'est le plus précieux.
Pour moi ça n'a pas de prix. J'ai dit à Jean, si tu veux que je demeure
avec toi, il ne faudra jamais m'enlever ma liberté. Liberté de dire ce
que je ressens, liberté de faire des choix, liberté d'être moi. De mon
côté, je m'engageais à le respecter aussi....
C'était
tout un contrat qui serait difficile à respecter, nous en étions
conscients, mais pour nous, avec l'amour tout était réalisable
Le
dimanche au soir, nous avons couché dans un motel tout près du pont de
Québec. Nous n'étions pas habitués à prendre de la boisson. Au souper,
puisque nous étions de jeunes mariés, on nous a offert un apéritif que
nous avons dégusté avec plaisir. Mais je ne l'ai pas digéré.
Probablement était-ce dû à la fatigue. J'ai été malade une bonne partie
de la nuit. Le lendemain, je n'étais pas très forte quand nous sommes
repartis pour la traversée du parc national.
Nous
avons décidé de coucher dans une auberge dans le milieu du parc. Nous
étions en pleine forêt et il y avait un beau grand lac juste devant
notre fenêtre.
C'était
très long de traverser le parc. Les chemins n'étaient pas ce qu'ils
sont aujourd'hui et j'étais bien contente de pouvoir enfin me reposer.
Il
y avait deux lits dans la chambre et j'ai demandé à Jean si ça le
fâcherait si je couchais dans l'autre lit. Il m'a dit que c'était
parfait, car lui non plus n'était pas habitué de dormir avec quelqu'un
d'autre.
Vers
quatre heures du matin, j'ai été réveillée par un orage électrique
comme je n'en avais jamais vu. Les éclairs se reflétaient dans le lac et
éclairaient notre chambre comme en plein jour. Le tonnerre faisait
vibrer les vitres, c'était vraiment impressionnant.
J'étais bien contente de pouvoir me réfugier dans les bras de Jean qui ne s'est pas laissé prier pour me garder auprès de lui.
Arrivés
au Lac-St-Jean, mon oncle Paul Émile, un autre frère de maman et ma
tante Simone ont eu la gentillesse de réunir mes cousins et cousines
pour une petite soirée en notre honneur.

Ma
tante Bella nous avait invités à séjourner chez elle, elle était
toujours aussi accueillnte. C'était chez elle qu'il y avait le plus de
place et elle avait bien aimé Jean quand elle l'avait rencontré. Elle
m'a dit en riant que j'avais enfin trouvé celui qui me mettrait à sa
main, chère ma tante…Les quelques jours pendant lesquels nous avons séjourné là ont
passé très vite. Nous avons pris un après-midi pour aller au bleuets, et
le reste du temps, visiter la parenté où nous avons toujours été très
bien accueillis.
Nous
sommes revenus à St-Alexis dans l'après-midi du samedi. Notre lune de
miel était finie. Personne ne nous attendait, c'est comme si nous
revenions de faire des commissions.
Ce
soir-là, je couchais pour la première fois dans un logement que je
n'avais pas eu le loisir de préparer. J'y entrais avec le sentiment que
j'étais toujours un peu étrangère. Céline y habitait encore pour
quelques jours. Elle attendait d'entrer au noviciat. J'avais
l'impression de prendre la place de quelqu'un. J'étais un peu triste.
Jean avait commencé le soir même à travailler au théâtre, ainsi commençait notre nouvelle vie de jeunes mariés.
Octobre 1998, mai 1999. Québec, France.
Réflexions
Tout
au long de mon récit, j'ai vraiment essayé d'être le plus fidèle
possible à mes souvenirs. J'ai tenté de me rappeler les sentiments et
les émotions qui m'habitaient au moment où se déroulaient les événements
tout au cours de ma vie et de vous les transmettre le plus fidèlement
possible.
Naturellement,
avec le recul, ma perception est différente de celle d'une petite fille
de 4 7, 12, 17 ou 18 ans, mais c'est celle que j'ai vécue
que je vous ai transmise.
Comme
je l'ai déjà dit, c'est ma vérité à moi et c'est la façon dont je
voyais le monde des adultes et l'analyse que je faisais de ma vie, des
gens que je côtoyais et des événements.
Ce
n'est d'aucune façon un document pédagogique mais je suis contente
d'avoir fait cet exercice. Cela m'a permis entre autre de me rendre
compte que j'ai eu une enfance intéressante et assez formatrice. C'est
la somme de toutes ces expériences qui font de moi, ce que je suis
aujourd'hui.
En toute amitiés ,
Ceci
met fin aux nombreux récits anciens que j'ai, pendant tous ces mois,
envoyés à mes jeunes correspondants. Ils ont été nombreux à lire, à
analyser, à commenter et à questionner ces textes.
Cependant,
mon histoire n'en est pas pour autant terminée, mais elle va se dérouler
à partir du moment où une idée fantastique a germé dans ma tête, et
que vous découvrirez, j'espère, avec autant de plaisir que j'aurai à la
partager avec vous.