Comment as-tu vécu ton adolescence, Wilda ?
Quand on est jeune, habituellement, on prend assez mal
les conflits amoureux. On pense que c'est la fin du monde. Si rien ne
se passe pas comme on le veut, on ne comprend pas que nous faisons nos
propres expériences de vie.
Il arrive que nous fassions même des erreurs de
jugement quelquefois mais un jour, ça nous servira. On appelle ça
l'expérience, et celle des autres ne vaut rien pour nous.
Est-ce que tu continuais à aller à l'école ?
Oui,
et tout allait très bien, j'avais de bonnes notes, je travaillais fort
car je voulais réussir. J'avais commencé à me poser de sérieuses
questions sur mon comportement. Vous savez celui de me prendre pour une
martyre et de m'apitoyer sur mon sort.
Je
me disais que si je continuais comme cela, je serais malheureuse toute
ma vie et je ne le voulais pas. Parfois, on ne peut pas changer
les choses mais on peut changer la façon de les voir ou de les vivre.
Que pouvais-tu faire ? Tu ne pouvais pas changer la situation chez toi.
Vous
avez raison, mais je pouvais changer ma façon à moi de vivre ma vie, sur
celle-ci j'avais du pouvoir. Vous savez la petite prière, le courage de
changer ce que je peux.
J'avais déjà lu dans un livre que la meilleure façon de voir clair
quand on a un problème, c'est de le mettre par écrit. On prend une page
blanche qu'on sépare d'une ligne dans le milieu, d'un côté, on met les
éléments positifs et de l'autre les négatifs.
Ce retour sur soi peut prendre plusieurs jours avant d'en arriver à une étude réelle et franche de la situation.
Moi
d'un côté, j'avais écrit les choses que je voulais voir changer et sur
lesquelles j'avais du pouvoir. De l'autre côté, j'avais listé les choses
que je devrais faire pour réaliser mes objectifs.
Je voulais être plus indépendante financièrement, plus
heureuse et plus épanouie. Je voulais voir tout ce que j'avais et non
ce qui me manquait.
J'avais
déjà lu une phrase qui m'avait laissée songeuse, "si tu remerciais ton
Dieu pour tout ce que tu as, il ne te resterait plus de temps pour te
plaindre."
En
y repensant bien, c'est vrai que j'avais eu beaucoup de chance et j'en
ai encore. Je ne me souviens pas de tout ce que j'avais énuméré, mais
je me souviens que j'avais trouvé deux pages pleines. En fait, il y en
avait bien plus du côté positif que négatif.
Pour
réaliser mes objectifs, je fis de même. Je voulais être indépendante
car je savais que je devais me prendre en main si je ne voulais pas
devenir renfermée et frustrée comme j'en voyais tant. Je savais que je
ne devais compter sur personne d'autre que moi.
Tu peux nous dire quels moyens tu avais trouvés ? Ça nous intéresse.
Disons
que les temps étaient différents d'aujourd'hui et les moyens
aussi. J'avais déjà rencontré des commis voyageurs. Ils allaient
de porte en porte pour offrir leurs produits surtout dans les régions rurales.
Il
y avait toujours trois ou quatre vendeurs différents dans l'année qui
passaient ainsi de maison en maison pour offrir toutes sortes de
produits. Ils étaient bien reçus dans les foyer la plupart du temps.
Les gens de la campagne sont habituellement très accueillants. De plus,
les vendeurs semblaient aussi vendre, même si je ne trouvais pas
qu'ils étaient de si bons vendeurs.
Il
était parfois difficile de se procurer certains produits et il
fallait aller à la ville la plus proche pour magasiner; naturellement
ce n'était pas à la portée de tout le monde. En un sens ça rendait
service aux paroissiens d'avoir quelqu'un qui leur offre différents
produits de beauté, de nettoyage, de brosses, etc.
Je
décidai donc de m'informer des possibilités qui s'offraient à moi. Je
me suis procuré un vieux bottin de la ville de Montréal et j'ai commencé
à chercher les compagnies qui vendaient par catalogue. J'ai écrit à
celles qui me semblaient sérieuses et qui correspondaient aux produits
que j'étais prête à offrir.
Bientôt
j'ai reçu des réponses satisfaisantes. Naturellement je n'avais parlé
de mon projet à personne, et je ne disais pas non plus à mes futurs
employeurs que je n'avais pas encore quatorze ans.
J'ai
choisi trois compagnies: "La lingerie du Jour", "Paula", une
compagnie de cosmétiques, et une compagnie de bijoux. Je me disais que
le plus difficile, c'était de me rendre chez les gens. Il me semblait
aussi que ce n'était pas plus difficile d'offrir trois produits qu'un
seul.
Ce
travail ne demandait aucun investissement. Tout était dans le
catalogue. Lorsque je prenais une commande, je demandais un acompte afin
de faire venir le produit. Et quand j'allais livrer, je recevais la
balance impayée et une commission sur mes ventes, c'était ma paye.
Je
ne sais pas où je me suis procuré une petite voiturette d'enfant pour
apporter les gros catalogues et livrer les produits. Probablement que je
prenais celle de mon petit frère.
Que disaient les gens de te voir arriver chez eux ?
C'était,
je dois avouer, ma principale interrogation. J'étais une enfant et j'en
avais vraiment l'air. Il y en a, qui à quatorze ans, sont déjà grandes
et bien prises. Moi par contre, ce n'était pas cela qui me distinguait
le plus. Je ne me suis jamais rendue plus haut que 4 pieds et 10 pouces
et demi. Alors, cela dit tout.
J'avais
confiance. Je savais que les gens m'accueilleraient, ne serait-ce que
par curiosité. J'étais travaillante, honnête, bonne vendeuse et je
connaissais mon produit sur le bout des doigts pour l'avoir étudié
pendant des heures avant de prendre la route après les heures de classe
et le samedi..
Qu'est-ce que tes parents ont dit de ton projet ?
Quand
mon père a appris la chose, il n'était pas très fier. Il m'a dit que
j'étais trop ambitieuse, que ça n'avait pas de sens et qu'il ne se
tenait responsable de rien si cela ne marchait pas. Pour lui, je crois
que c'était comme une humiliation car c'est comme si je disais qu'il ne
pouvait subsister à mes besoins, pourtant ce n'était pas le cas. Il
était certain que tout se passerait mal et qu'après quelques jours je
laisserais tomber.
Il me connaissait bien mal. Il venait juste de me
donner une bonne raison de réussir. De toutes façons j'étais
toujours trop ci, et pas assez cela, alors…
Est-ce que cela a bien fonctionné pour ton commerce ?
Oui,
les gens se sont aperçus que malgré mon jeune âge, j'étais responsable
et que je n'avais qu'une parole, qu'ils avaient toujours ce qu'ils
commandaient et selon les conditions expliquées. Je ne forçais jamais la
vente et je n'étais pas pressée.
Toutes
mes fins de semaines étaient maintenant consacrées à mon commerce, je
sortais de ma torpeur et je me sentais plus épanouie.
Avais-tu d'autres passe-temps ?
Bien,
je continuais à garder mon frère et j'aimais aussi la lecture. Je crois
que j'avais dévoré tous les livres de la bibliothèque de l'école, mais
ce n'était pas tout à fait mon genre.
Qu'est-ce que tu veux dire ?
Bien,
ce que j'appréciais, c'était de lire des romans d'amour et des volumes
qui parlaient de la connaissance de soi ou de motivation.
Je
pouvais me procurer quelques volumes sur la psychologie mais pas les
autres. Malheureusement c'était les autres que je préférais.
Mon
amie, Madame Chagnon, vous savez, celle qui avait pris notre loyer,
avait une bibliothèque assez garnie. Elle avait toujours un bon livre
pour moi.
Si
vous saviez le nombre de nuits blanches que j'ai passées à lire, cachée
sous mes couvertures, m'éclairant avec une lumière de poche. Il faisait
très chaud mais c'était la seule manière de lire en paix. Dans ma porte
de chambre, il y avait une vitre et la clarté m'aurait trahie.
Cette
femme à été très bonne pour moi, c'était ma confidente et elle m'a
toujours donné de bons conseils. De plus, elle ne voyait pas le mal
partout.
Elle
avait trois filles un peu plus jeunes que moi. Elle les élevait bien
sans se laisser guider par la peur. Même si elle avait un mari qui
n'était pas souvent à la maison et qui prenait lui aussi beaucoup de
boisson, elle avait toujours un beau sourire et m'accueillait toujours
avec affection.
Je
me rends compte encore plus aujourd'hui en faisant pour vous tous ces
examens de conscience, comment les petits gestes d'affection, d'amitié
et d'amour qu'on porte à quelqu'un, sont importants pour celui qui les
reçoit.
Cela fait partie de son héritage et lui servira toute sa vie.
As-tu fait toutes tes études à St Alexis ?
A
ma quinzième année, mes parents ont décidé de m'envoyer pensionnaire.
Ils trouvaient que j'aimais pas mal les petits gars et pensaient que ça
me remettrait les idées en place.
Ça
ne me faisait rien, comme vous le savez, j'avais déjà expérimenté
l'internat et je l'avais aimé, j'étais même contente de m'éloigner un
peu du foyer. Mais je voulais choisir mon collège. J'aurais bien aimé
aller dans un collège à Trois-Rivières, je me souviens plus du nom mais j'avais
l'impression que j'y aurais appris des choses qui m'auraient été
utiles dans la vie, un genre d'école ménagère.
J'ai
eu la mauvaise idée de mentionner qu'il y avait un endroit que j'avais déjà
visité avec une dame, le Collège Marie-de-l'Incarnation à
Trois-Rivières. Et ce collège ne me plaisait pas du tout, je ne voulais
absolument pas y aller. J'avais une fois accompagné une fille qui allait
voir une amie et ça m'avait donné froid dans le dos, je ne m'y sentais
pas bien du tout.
C'était un pensionnat, dirigé par les Sœurs Ursulines
cloîtrées. Il ressemblait beaucoup plus à une prison qu'à un couvent
pour jeunes filles.
Autour
du terrain, il y avait une grande muraille en bois et en haut, des fils
barbelés. C'était lugubre. Vous devinez sans doute où ils ont fait mon
inscription.
Durant
ma dernière année scolaire à St-Alexis, comme ça se passait bien pour mes notes
qui étaient assez hautes, on pouvait avoir la possibilité de
faire notre 8e et 9e année en même temps. Ça demandait beaucoup
de travail mais comme je voulais réussir j'étais prête à mettre tous
les efforts voulus.
La bonne religieuse qui m'enseignait voulait faire de moi un religieuse
et voulait me sauver des griffes de l'enfer. Elle disait que j'avais la
vocation. Pauvre elle, elle prenait ses désirs pour la réalité. Rire....
Il
y avait toujours des élèves qui venaient porter leurs paniers, hi
hi... expression qui veut dire rapporter des faits qui habituellement ne
sont pas favorables à une certaine personne, pouvant même lui causer des
torts.
Mon
enseignante, ayant su que Jean venait parfois à la maison et que
nous avions été vus ensemble, n'a pas cru bon d'envoyer
mes notes d'examens au ministère, pour me punir. Elle n'acceptait pas du tout que j'aie
des amis garçons et me faisait perdre de cette façon une année de
scolarité.
Ce
qui a eu pour effet qu'alors que j'avais fait tous les travaux de la
huitième et neuvième année et que j'avais réussi avec succès tous mes
examens, je me retrouverais encore en neuvième en septembre suivant.
Quelles sortes de fréquentations aviez-vous dans ce temps là ?
Nos fréquentations étaient bien innocentes et nos gestes d'affection bien plus amicaux qu'autre chose.
Si
nous comparons la jeunesse de ce temps à celle d'aujourd'hui et la
liberté dont vous disposez, nous agissions à quinze, seize ans comme
ceux de huit et dix ans aujourd'hui.
Nous n'étions ni meilleurs ni plus mauvais, mais nous
vivions à une époque où il n'y avait que très peu de tolérance.
Et en septembre, qu'est-il arrivé ?
J'ai pris le chemin de ce que je considérais comme une prison.
Pensionnaires,
nous avions le droit d'aller une journée par mois dans nos familles,
seulement si nous avions de bonnes notes et pas de retenue.
Nous n'avions pas le droit de recevoir ou d'envoyer du courrier à l'extérieur sans que cela passe par les mains des religieuses.
Les
règlements étaient très sévères. Ils ne me dérangeaient pas tellement,
mais je trouvais difficile de ne pas sortir plus souvent et de ne pas
avoir de nouvelles de mes amis.
Oui, ça, je trouvais cela difficile.
À
mon entrée, quand est venu le moment de me classer pour les cours, j'ai
expliqué que mon professeur n'avait pas cru bon d'envoyer mes notes.
Les religieuses ont eu la décence de me respecter et m'ont fait passer
des examens que j'ai réussis avec distinction. Heureusement pour moi, au
moins je ne perdais pas une année scolaire pour le simple fait que Jean
était venu à la maison.
Comment ça s'est passé pour toi au couvent ? As-tu trouvé l'année longue ?
Le
mois de septembre tirait à sa fin. A quelques reprises, j'avais perdu
connaissance dans les marches des escaliers. Il faut dire qu'il y en
avait beaucoup et je n'étais pas tellement habituée à ce régime. J'avais
aussi de plus en plus mal à la gorge.
Une
journée, j'étais brûlante de fièvre et je m'écrasai pratiquement dans
les bras d'une religieuse. On m'a amenée à l'infirmerie. On se méfiait
de moi. Mon père avait averti que j'étais une bonne actrice et avait dit
de ne pas croire tout ce que je pourrais inventer.
Comme
ma température ne baissait pas, on a fait venir le médecin qui m'a fait
admettre à l'hôpital pour une intervention chirurgicale mineure. On
devait m'enlever les végétations car j'étais en train de m'empoisonner.
Je
devais être opérée le lendemain et sortir le surlendemain. Cela ne
s'est pas aussi bien passé que prévu. Dans la nuit après mon opération,
j'ai fait une hémorragie assez grave. On a dû reprendre l'opération, Je
suis restée là plusieurs jours, huit ou dix jours, je ne m'en souviens
pas exactement mais, plus d'une semaine.
J'ai
d'ailleurs passé deux jours dans la même chambre que Margot, la sœur de
Jean. Elle devait décéder quelques jours plus tard d'une maladie de
cœur. Elle était dans la vingtaine, le 7 octobre exactement.
Margot
était une personne qui ressemblait à l'image que je me faisais d'une
sainte. Elle était délicate en tout, dans sa façon de parler, de vivre
et de penser.
Pour
elle, tuer ne serait- ce qu'une mouche était mal. Je crois qu'elle est
bien où elle est, car elle aurait été trop malheureuse de connaître la
méchanceté et la violence.
Elle était très croyante et est partie en toute sérénité vers le Dieu qu'elle chérissait.
Tu n'es pas retournée chez toi pour ta convalescence ?
Non, on jugeait sans doute que les jours passés à l'hôpital étaient une convalescence assez longue.
Bien entendu, j'ai trouvé difficile de reprendre le collier et je me sentais très fatiguée et très faible.
Par
contre, je commençais à aimer ce genre de vie de couvent que je
connaissais déjà. Tout y est ordonné et tout le monde fait ce qu'il a à
faire. Je crois que quand on a un objectif et que l'on sait pourquoi on
fait telle ou telle chose, c'est plus facile.
Les quelques semaines qui ont suivi m'ont vue très
souvent à l'infirmerie, j'avais encore perdu connaissance et j'avais des
palpitations.
Les religieuses ont fait venir mes parents. Ils
n'étaient pas très contents car ils étaient convaincus que je faisais
semblant d'être malade pour revenir à la maison. Enfin, c'était leur
opinion et je n'y pouvais rien.
Le
médecin qui était venu m'examiner avait indiqué que je devais voir un
cardiologue. Il avait même pris un rendez-vous. Aussi nous nous sommes
dirigés ensemble chez le spécialiste, chacun gardant ses réflexions pour
soi.
J'étais bien avertie que s'il ne me trouvait rien de grave je retournais de ce pas au couvent, c'était parfait pour moi.
Eh bien ! Est-ce que le cardiologue a trouvé quelque chose ?
Il
m'a fait passer des examens plus poussés et a déclaré que je devais
être au repos complet sans escaliers ou émotions graves pendant
plusieurs mois. Je devrais être suivie par lui pendant quelque temps.
Mes
parents n'ont rien dit et étaient silencieux tout le long du retour. Je
n'étais pas très contente, car vraiment je me sentais bien au couvent
après y avoir passé quelques semaines.
Pour
moi, c'était une très mauvaise nouvelle. Je ne me voyais pas du tout
confinée à la maison, toujours suivie à la trace. Je perdais mon année
scolaire, et le cœur brisé par bien des
déceptions.
L'entrée
dans ce couvent que je n'aimais pas, mon opération et pas assez de
temps pour récupérer avaient accentué ma faiblesse, et désormais j'en
payais le prix.
J'étais
à l'aube de ma seizième année et je me trouvais devant un mur, arrêtée
dans mon élan vers l'autonomie que je voulais tant acquérir. Je voulais
tant me préparer un bel avenir et poursuivre mes études… mais...
Qu'es-tu devenue ?
Je
peux dire en toute honnêteté que ça été plus facile que je ne le
prévoyais. Mes parents se sentaient, je crois, un peu responsables de ce
qu'il m'arrivait, mais il était trop tard. Ils avaient sans doute fait
pour le mieux dans les circonstances.
Mon
retour à la maison s'est fait en douceur, j'ai repris ma chambre, mais
je n'étais pas très fière de revenir dans de telles conditions.
A
cette époque, les jeunes adultes n'avaient pas tellement d'avenues
devant eux, surtout pour les filles des petits villages. Peut-être qu'à
la ville, c'était différent.
Une
fille de la ville avait peut-être la possibilité de suivre des cours,
d'apprendre un métier intéressant, mais à la campagne, rien de cela
n'était à notre portée il faillait s'en aller à la ville.
La
mentalité du temps était que les filles restent à la maison, se marient
et élèvent des enfants. Il ne fallait pas qu'elles prennent trop de
place.
Moi,
j'étais parmi les privilégiées. Mes parents auraient été fiers si
j'avais pu faire de belles études. Je suis certaine qu'ils m'auraient
encouragée à continuer.
J'ai
su plus tard que c'est sur les conseils de parents qui leur avaient
vanté la formation que donnaient les Sœurs Ursulines, qu'ils avaient
tant insisté pour que j'aille à ce couvent. Ils ont agi pour mon bien,
ils se sont trompés, je ne peux leur en vouloir.
Cela
aussi, faisant partie de la mentalité du temps. L'autorité parentale
devait être respectée sans discussion. Dans la majorité des familles,
l'enfant n'était pas consulté sur son choix de carrière même s'il était
assez vieux pour savoir ce qu'il souhaitait vraiment faire de sa vie.
Combien
de jeunes garçons et de jeunes filles se sont dirigés vers le
sacerdoce ou la vie religieuse sans en avoir la vocation, uniquement pour
satisfaire un désir des parents ou pour honorer une promesse faite sur
le lit de mort d'un proche.
Naturellement,
ces personnes n'étaient pas heureuses dans cette voie qui n'était pas
celle qu'ils auraient choisie s'ils en avaient eu la possibilité.
Voilà
qui expliquerait, en grande partie, les écarts de conduite de certains
et l'agressivité qu'on pouvait voir chez des religieux ou religieuses
qui n'étaient pas à leur place. Beaucoup d'ailleurs ont quitté les
ordres quelques années plus tard.
Même
s'ils n'étaient pas heureux certains sont restés, d'autres plus
courageux, sont sortis. Bien entendu, certains ont continué dans cette
voie qui était somme toute la leur. Ceux-là avaient vraiment la
vocation.
Il y avait donc beaucoup de religieux dans ton temps ?
Oui, beaucoup, et comme je l'ai déjà mentionné, c'était très prestigieux d'avoir un religieux dans sa famille.
Que restait-il pour les autres ?
Pour
les femmes, il y avait le mariage ou le célibat. Très peu pouvaient
accéder à un poste de prestige ou à une profession libérale. Pour celles
qui avaient eu la chance d'avoir des parents ouverts et à l'aise
financièrement, il y avait bien sûr les secteurs où on
retrouve les femmes en grande majorité: professeurs et infirmières.
La
majorité se mariaient, souvent assez jeunes, et faisaient comme leur mère
elles demeuraient à la maison et avaient beaucoup d'enfants.
Comme
je l'ai déjà dit, il n'était pas question d'aller vivre avec notre
petit copain ou même vivre en colocation comme maintenant.
Que faisaient les célibataires? Et pourquoi le demeuraient-elles ?
Il y en avait pour qui, c'était vraiment le célibat
qui les attirait. Ce qu'elles voyaient du mariage ne les attirait pas du
tout. Certaines se faisaient instruire le plus possible afin de gagner
leur vie et vivaient sans histoire.
D'autres
ayant très peu d'instruction se dévouaient corps et âme pour soutenir
leur famille ou pour demeurer avec un parent malade, et s'oubliaient
complètement pour aider ici et là.
Il
y en avait quelques-unes qui, après un certain âge, se résignaient à
demeurer seules parce qu'elles n'avaient tout simplement pas trouvé de
prétendant à leur goût.
D'autres
encore, après des années de dévouement auprès de leur famille, décidaient
de demeurer avec leurs parents jusqu'à la fin de leur vie.
Et les jeunes hommes eux, avaient-ils plus de chances ?
Pour eux, c'était un peu différent mais pas beaucoup plus facile.
Ceux
qui avaient la chance de se faire instruire, pouvaient devenir des
professionnels, même si ce n'était pas toujours dans le métier qu'ils
auraient aimé exercer.
Souvent
le père choisissait. Si celui-ci était médecin, il y avait de grandes
possibilités que le fils fasse de même. Nous pourrions dire la même
chose des notaires ou avocats.
Ceux
dont les parents avaient un commerce ou une profession, travaillaient
habituellement avec leurs parents. Je pense ici aux cultivateurs,
magasiniers ou quincailliers, entre autres.
Même
si leur désir avait été de devenir comédien, artiste ou une autre
profession moins prestigieuse, les garçons n'avaient pas grande chance
d'y accéder sans se faire couper les vivres et souvent renier.
Est-ce que les garçons se mariaient aussi jeunes que les filles ?
A
mon avis, oui. Dans les campagnes, habituellement les maisons étaient
assez grandes et souvent lorsque les garçons se mariaient, surtout ceux
qui continuaient de travailler avec leurs parents, ils amenaient leur
femme demeurer avec leurs parents.
Ils vivaient parfois à trois ou quatre générations dans la même
maison, ceci se voyait surtout chez les cultivateurs. Moi, je crois que
je n'aurais jamais pu vivre ainsi. Ça ne devait pas être facile pour
personnes, jeunes ou vieux.
Quand vous vous fréquentiez, quelles sorties faisiez-vous ? Aviez- vous souvent des soirées organisées ?
Nous
n'avions pas beaucoup de sorties où nous pouvions être à l'aise, danser
et avoir du plaisir entre copains. Je vous assure que c'était bien
différent d'aujourd'hui.
A
St- Alexis, je ne suis jamais allée danser avec un ami, je n'ai même
jamais été dans une soirée de jeunes, une fête d'anniversaire ou quelque
chose de semblable. Aller prendre un repas dans un restaurant dans le
calme, où on peut prendre son temps et parler, non.
Nous
étions parfois tous invités chez des gens qui travaillaient avec
mon père, durant le temps des fêtes, mais ce n'était pas des soirées
uniquement pour les jeunes.
Nous
allions de temps à autre prendre une liqueur au petit restaurant du
village. Mais cela n'avait rien à voir avec un vrai restaurant.
De plus, cette habitude actuelle d'aller manger au restaurant n'était pas très fréquente. Avoir
la chance d'échanger entre amis, est souvent le prétexte qu'on prend
pour communiquer avec quelqu'un, plus que pour se nourrir. Par contre,
je crois que dans les villes cette habitude faisait de plus en plus
d'adeptes.
La
mentalité était bien différente à mon époque. Nous, nous allions manger
au restaurant quand c'était absolument nécessaire ou lorsque nous
étions en voyage.
Comme
vous voyez, vous qui vous attendiez à des détails croustillants sur mes
relations avec les garçons, devez être déçus. Malgré les apparences,
j'étais assez sage.

C'était difficile d'avoir une jeunesse harmonieuse
devant autant de sévérité. Les gens étaient beaucoup plus perçus pour ce
qu'ils semblaient être et non pour ce qu'ils étaient vraiment, pour ça
je crois que les mentalités n'ont pas tellement changé.
Tu devais trouver le temps long, toi qui aimais l'école, que faisais-tu ?
En
effet, c'était très long mais comme j'étais assez faible, je dormais
beaucoup surtout les premières semaines, mais ça ne remplissait pas une
vie. J'ai donc refait encore une fois le petit exercice de la page
blanche car les données n'étaient plus les mêmes.
Mon
état de santé ne m'inquiétait pas beaucoup et je savais que je m'en
sortirais. J'étais trop exigeante pour accepter un tel verdict.
J'ai
repris graduellement mon petit commerce que j'avais dû abandonner
quelques mois auparavant. Il me permettait de prendre l'air et de
rencontrer des gens. Ces aspects me motivaient plus que de gagner de
l'argent.
Je
décidais aussi que je devais continuer de m'instruire en lisant le plus
souvent possible mes livres de classe. Au moins si je pouvais reprendre
mes études l'année suivante, je ne serais pas trop rouillée. Ma soif
d'apprendre n'était pas partie et elle était assez forte pour me
motiver.
Comme
je n'avais jamais été beaucoup chez des amies et que je n'en
avais jamais reçu à la maison, rien ne changeait. Je n'avais pas eu la
chance d'expérimenter, comme vous, le loisir d'aller coucher chez des
amies. Chez nous, ma mère avait souvent mal à la tête et ne tolérait pas
le bruit.
Tu as d'autres détails à nous raconter ?
Au
printemps, j'avais dix-sept ans et un des grands patrons de mon père,
qui était anglophone, m'a proposé de venir tenir compagnie à son épouse.
En retour, j'aurais un très petit salaire. On me demandait juste de
rendre de légers services, ainsi j'aurais la chance d'apprendre à parler
anglais.
Ce
monsieur demeurait à Trois-Rivières, et comme ma santé s'améliorait,
j'acceptai. J'avais toujours trouvé dommage que mon père ne m'ait pas
appris cette deuxième langue. J'en avais déjà parlé. Il avait voulu le
faire quand j'étais petite, mais cela ennuyait ma mère qui ne comprenait
pas cette langue. Il avait laissé tomber, dommage !
Une deuxième langue était un atout de plus que je voulais acquérir. Bien entendu, la langue française était et sera toujours ma langue, mais une nouvelle culture était toujours la bienvenue.
J'ai suivi plusieurs cours par la suite mais
malheureusement, je ne suis pas très douée. Je peux lire et écrire en anglais, mais je suis pas mal nulle en conversation. Je crois que
si j'avais commencé plus jeune, et surtout si j'avais eu la chance de le
parler, j'aurais éprouvé moins de difficultés.
Pour
en revenir à mes futurs employeurs, je savais qu'ils avaient quatre
jeunes adolescents. Je les connaissais pour les avoir rencontrés à
quelques reprises. De plus mes parents prenaient cela comme un honneur
qu'on m'offre une telle chance.
Monsieur
et Madame étaient très gentils mais le garçon de mon âge et ses trois
sœurs alors âgées entre dix et seize ans étaient très impolis.
Ils
me traitaient de haut comme ils traitaient probablement une servante.
Ils n'avaient aucun respect pour moi. Ils laissaient tout traîner et je
travaillais du matin jusqu'au soir pour presque rien. Les seuls mots
d'anglais que j'y apprenais étaient des mots que j'aurais mieux fait de
ne pas apprendre.
Très
vite, j'étais devenue carrément la bonne à tout faire et j'en
souffrais. Je n'étais pas snob, mais je me disais que ce n'était pas
plus difficile d'aller à l'école que de faire ce que je faisais sans
joie.
J'y
suis restée près d'un mois. Comme je recommençais à être fatiguée et à
avoir des palpitations, j'ai laissé tomber cette supposée formation en
langue seconde.
Comment tes parents ont pris cela ?
Je
ne me souviens pas parfaitement de ce qu'ils ont dit, mais ils étaient
un peu déçus. Ils auraient aimé que je sois plus persistante. Moi, je
croyais que je l'avais été suffisamment. J'avais accepté ce traitement
pendant un mois et cela m'avait beaucoup affectée
Si on veut être respecté, il ne faut pas donner la chance à personne de nous prendre pour un tapis.
Naturellement
Jean était bien content que je revienne. Il s'était réellement ennuyé
et trouvait difficile de m'imaginer loin de lui.
J'ai
donc repris mon petit commerce que j'avais un peu négligé. Comme je
revenais chez moi les fins de semaine, j'avais eu moins de temps à y
consacrer . Si on veut réussir il s'agit très souvent d'être persistant.