Mardi 8 juin, c'était
un grand jour pour moi et pour les jeunes que je me préparais à
rencontrer. Quand nous sommes partis, Denis et moi, pour le collège de
Provin, la température était assez fraîche. Je me demandais comment je
pourrais passer cette journée à l'extérieur. Il y avait un pique-nique
de prévu avec une grande partie des élèves qui avaient communiqué avec
moi sur Internet tout au cours de l'année.
Quelques semaines
avant de les rencontrer, j'étais un peu inquiète de connaître les
réactions qu'ils auraient en me voyant. Ils m'avaient tellement mise sur
un piédestal en m'imaginant en super héros, en cyber-mamie que je ne
voulais pas les décevoir. Mais comme je n'avais jamais caché mon âge et
les avais mis en garde, je m'en allais confiante à leur rencontre.
Je fus reçue par la
directrice, Madame Crevel, qui me présenta tout son personnel en me
souhaitant la bienvenue. Elle me remerciait d'avoir passé autant de
temps avec les enfants et elle se disait un peu dépassée par l'envergure
qu'avait pris ce projet.
Nous nous sommes dirigés ensuite dans le hall ou m'attendaient plus de soixante élèves.

Avec quelques élèves à l'entrée du collège
Dans le collège, je ne
pouvais pas manquer la décoration où mon nom était affiché partout sur
les murs et sur des banderoles. Un arbre trônait au milieu du hall et
les feuilles étaient faites de pages multicolores. Certaines ne
contenaient que Wilda, écrit en gros caractères. Une multitude d'autres
contenaient une partie des centaines de messages échangés au cours des
mois de notre correspondance active.
Bientôt je fus
entourée de toutes parts et chacun se pressait pour m'offrir, fleurs,
cartes et cadeaux ; tous avaient un beau sourire. Je leur demandais de
s'identifier et je pouvais tout de suite savoir à qui je m'adressais car
j'avais tellement passé de temps avec eux au travers leurs confidences .
Je pouvais dire l'histoire de plusieurs d'entre eux. Ils n'avaient pas
été juste des noms mais des personnes à part entière tout le temps.

Nous étions sous le charme et quand je pouvais
apporter un renseignement les concernant, comme par exemple, j'avais
trois Amélie; est -ce celle qui aime les chevaux ? celle qui a deux
frères ou celle qui a des difficultés en français.
Tout au cours de notre
correspondance, plusieurs me disaient qu'ils ou qu'elles se sentaient
plus importants(es), que je les avais traités(es) comme tels et tous
pouvaient réaliser que c'était vrai car même s'ils étaient nombreux, ils
étaient tous uniques pour moi.
J'entendais toutes
sortes de commentaires, ils me trouvaient petite car presque tous me
dépassaient ; ils trouvaient que j'avais de drôles d'expressions, ne
comprenaient pas toujours ce que je disais, plusieurs me dirent qu'ils
ne m'imaginaient pas comme cela.
Je leur demandai
comment ils me voyaient dans leur imagination? "Beaucoup plus grande
et beaucoup plus vieille. " Une me dit : ''ça ne se peut pas que tu aies
l'âge de ma grand-mère, vous n'êtes pas du tout pareilles toutes les
deux '' ha … plusieurs me disaient que leurs grands-mères ne savaient
pas aller sur Internet; je répondis que c'était beaucoup plus facile en
Amérique.
Je rencontrais enfin
ces jeunes qui avaient peuplé mes rêves et avec qui j'avais passé la
majeure partie des dix derniers mois. Je pouvais enfin mettre un visage
sur ces enfants qui avaient été si présents dans ma vie et avec qui
j'avais créé des liens si facilement.
Je crois que pour eux
aussi c'était un grand jour, je le voyais dans leurs yeux inquisiteurs.
Certains m'avaient fait confiance en me révélant des choses très
personnelles et ils m'étaient devenus très chers. Je les aimais beaucoup
inconditionnellement et j'espérais que les quelques petits conseils que
je leur avais donnés par le biais de mon livre, et surtout par les
lettres personnalisées leur seraient profitables un jour.
Enfin je crois que j'ai passé l'examen.
Nous nous sommes
alors dirigés dans un petit bois près du collège pour le fameux
pique-nique. J'avais apporté près de 80 petits cadeaux du Québec que je
voulais faire tirer au hasard.

J'avais préparé des papiers afin que chacun et chacune s'inscrivent.
Au lieu de signer leur nom, ils m'ont apporté ce papier pour que je leur
signe un autographe. C'est donc pendant plusieurs minutes que j'ai
rempli cette agréable tâche qui était bien nouvelle pour moi.

Ici je joue a la vedette ...hi hi
Le tirage s'est fait par la suite d'une autre manière. Les petits
souvenirs, dont une dizaine de petites aquarelles que j'avais faites
spécialement pour l'occasion, se sont envolés dans l'enthousiasme
général.
Après le repas en
plein air, ils se tous assis autour de moi et ils m'ont posé des
questions pendant une bonne heure, tous étaient attentifs . Denis leur
professeur, s'est adressé au groupe en leur disant que j'avais
probablement un pouvoir magique pour retenir l'attention de 60 élèves
aussi longtemps, surtout à l'extérieur.

Ici, vous me voyez les
mains jointes comme si je m'apprêtais à prier. La question
posée…''quand on parle des québécois on dit toujours ''tabarnacle''
pourquoi ?''
J'avais envie de rire.
Je leur demandai qu'elle était leur définition de ce mot. Elle était
sensiblement la même que pour nous, excepté qu'effectivement, ce mot ou
cette expression faisait partie du langage châtié de trop de gens qui
s'en servent comme patois et l'utilisent à tout propos au cours de leurs
conversations.
Je leur ai expliqué aussi que pour plusieurs personnes, ce mot
changeait de sens selon l'intonation et l'expression qu'on avait en le
prononçant.
J'ai par contre dit
que ça ne faisait pas partie de mon vocabulaire ni de celui de personnes
bien élevées. Il y eu quelques autres questions un peu loufoques qui
ont fait que la rencontre s'est terminée dans la joie.
Plusieurs me parlaient
de mon livre qu'ils avaient lu en partie et l'avaient apprécié, il
manquait quelques chapitres mais la version finalisée serait à leur
disposition à la bibliothèque du Collège Étienne Dolet.
Ils s'informaient
aussi : ''serais-je encore fidèle aux élèves en septembre ?'' Je les ai
rassurés en leur disant que ça me ferait très plaisir de continuer, que
la décision de donner suite à ce projet ne dépendait pas de moi, mais si
c'était possible je ne les abandonnerais pas et que je serais au
rendez-vous.
Comme vous pouvez facilement l'imaginer, cette journée était pas mal fatigante mais combien enrichissante pour chacun de nous.

À la rencontre avec madame la directrice, elle m'avait remis un
exemplaire du Livre de Wilda. Ça m'avait fait tout drôle de le voir
autrement que sur mon écran d'ordinateur. Il était là devant moi de
façon concrète.
Comme Denis
m'expliquait, ils n'avaient pas eu le temps de le relier mais la
présentation était quand même très présentable. Ils avaient fait un
montage avec les photos les plus représentatives des événements que
j'avais envoyé au fil de nos échanges.
En revenant à la maison, j'étais assez émue en feuilletant ce livre. Il avait représenté tellement de défis pour moi.
Tout au long de ce
long parcours, juste le fait d'écrire autant avec un l'ordinateur qui
m'était parfaitement inconnu, qu'il m'a fallu en même temps apprivoiser,
me demandait plusieurs heures.
Je n'avais pas mon
doigté non plus à ce moment-là, je l'ai appris sur le tas comme on
dit. Je ne connaissais pas non plus le logiciel Word avec lequel je
travaillais....
J'ai eu
à composer et
reprendre des textes plusieurs fois. Je faisais aussi énormément de
fautes d'orthographes et je devais me référer constamment au
dictionnaire.
Je me rendais bien
compte que la maladie avait fait son œuvre et mon intellect n'était plus
ce qu'il était, je devais faire des efforts constants pour offrir un
document de qualité. Tout cela se faisait en parallèle avec les
nombreux messages individuels que je continuais à envoyer à mes nombreux
jeunes correspondants. Je ne voulais pas négliger les autres
correspondants que j'avais non plus.
Il y avait aussi
l'émotion qui m'habitait tout au long de mes écrits. Je devais
constamment entrer en moi pour me souvenir d'un fait ou d'un détail qui
venait se rajouter apportant ainsi, pour le lecteur, une meilleure
compréhension des faits rapportés.
J'avais voulu offrir
un volume de qualité, écrit dans un bon français. Je me rendais compte
que malgré l'affirmation qui m'avait été faite à l'effet que les fautes
seraient toutes corrigées, qu'il y en avait encore plusieurs présentent
dans le document présenté. Denis débordé n'avait pas eu le temps de le
vérifier une dernière fois.
Après quelques heures
de repos, je suis partie avec mes deux amis. Ils recevaient des invités
pour dîner mercredi soir. Parmi eux le correspondant du Québec, avec qui
j'avais échangé quelques messages. Il était arrivé à Roubaix quelques
jours avant moi. C'est donc en France que je devais faire sa connaissance.
Au marché, nous avons
tellement ri tous les trois que les personnes s'arrêtaient pour nous
parler et rire avec nous. J'avais, paraît-il un très fort accent
québécois. Tout en magasinant, nous préparions le menu pour le
lendemain. J'ai proposé de faire une bonne salade et ma fameuse recette
de pâté au jambon.
Ils m'ont invitée à
choisir les aliments que j'avais besoin. L'enthousiasme fut à son comble
quand je leur dis que ça me prenait un jambon en boite absolument. Il
était très tendre, et que c'était juste la bonne quantité. Mes deux amis
et moi étions pliés en deux et ne pouvions plus parler tant nous nous
amusions.
Ce qui rajoute à la
situation loufoque, c'est que, Pascal est traiteur et me proposait un
petit jambon de chez lui, probablement beaucoup plus de qualité que ce
que je cherchais. J'ai dit que c'était à prendre ou à laisser et que je
voulais absolument réussir ma recette et que c'était celui- là seul qui
me convenait . Ils m'ont dit que je ne trouverais jamais cela en France…
j'ai trouvé…ha ha ha…
Rendue à la caisse
enregistreuse, la caissière, bien qu'assez occupée, me souhaita la
bienvenue. Il y avait une longue file dernière nous, bien qu'assez près
de l'heure de la fermeture, les gens ne semblaient pas pressés et
s'amusaient avec nous.
Avant mon départ, aux
personnes qui me trouvaient hardie de partir ainsi toute seule dans un
pays étranger, je répondais immanquablement que je m'en allais dans un
pays dont la langue est la mienne : le français.
Pratiquement tous me
disaient que je ne serais pas comprise partout si je n'avais pas
exactement la même intonation qu'eux… Alors, comme la caissière semblait
beaucoup s'amuser, elle aussi, je lui répétai cela. Elle me répondit ''
Vous dites ? ''Il n'en fallut pas plus pour que tous les trois nous
partions d'un autre retentissant éclat de rire à en avoir des crampes et
mouiller ma culotte.
Je leur fis alors
remarquer qu'ils m'avaient dit qu'ils me diraient toujours la vérité.
Ils m'avaient mentionné que c'était une corvée de faire le marché et
pourtant ils avaient l'air de trouver cela très drôle. Ils m'assurèrent
que ce n'était pas toujours comme cela. Je n'en doutai pas un instant….
Pascal nous invita à
souper dans un petit restaurant de steak/frites. Chaque fois que nous
mangions à l'extérieur, je demandais toujours du beurre pour mon pain
baguette; à ce moment-là, le personnel ne comprenait pas ce que je
demandais. Pourtant, du beurre, il me semble que c'est facile à
comprendre, mais…. Denis trouvait cela très drôle et faisait alors mon
interprète.
Au retour, je
téléphonai à Miche et Jo, deux correspondantes françaises dont j'avais
dû refuser l'invitation avec regret, mais je leur avais promis de
les appeler. Nous étions contentes d'entendre nos voix. Elles trouvaient
que j'avais un accent inconnu mais charmant. Ce fut assez court mais
apprécié de part et d'autre.
J'étais contente
d'avoir rejoint Miche car je lui devais beaucoup. C'est une des rares
correspondantes qui avait continué de m'encourager lorsque je ne
réussissais pas à ouvrir mes courriels entre la fin de l'été et le début
de l'automne. A ce moment-là, je ne pouvais que voir d'où venait le
message et lire l'objet. Elle avait compris que ça me donnait une piste
pour lui répondre. Elle disait alors: ne te décourage pas, je peux lire
ton courrier etc.
Nous avons passé par un autre chemin en nous envoyant des cartes de
souhaits où nous pouvions écrire des messages personnels. Au travers de
ces messages, elle essayait de m'aider à résoudre mes problèmes.
Que je sois à Roubaix ou à Nantes, je recevais des
messages de mes correspondants réguliers. Ils pouvaient me suivre à la
trace. Ça me faisait toujours plaisir d'avoir un petit mot de bienvenue
ou d'encouragement de leur part.
Naturellement, j'avais
tous les jours de très courts messages de Jean qui réussissait à
s'exprimer sur l'ordinateur qu'il n'aimait pas du tout, mais qu'il
commençait a apprécier pour la tranquillité d'esprit que ça lui
apportait.
J'imagine par contre ce que ça devait lui demander d'effort pour mettre en pratique les
petits cours privés que je lui avais donnés avant de partir.
Je lisais ce qu'il
m'envoyait avec ravissement, ça me rappelait les messages que nous
échangions quand nous étions adolescents ou les mots "je t'aime" étaient
le principal message à retenir sur une seule ligne sans espace.