Chapitre 14

Préparatifs et mariage.

Pour mon trousseau, j'avais acheté différentes petites choses au cours des années. Ma mère m'avait donné des couvertures qu'elle avait depuis longtemps mais qu'elle conservait dans son propre coffre de cèdre. La robe, je l'avais déjà.

Une semaine avant le mariage nous sommes allées à Trois Rivières acheter ce qui me manquait. Une jupe, quelques blouses, une robe d'été, des sous-vêtements et un costume de voyage. Ma mère m'avait confectionné un ensemble de déshabillé. Il était très beau, elle était vraiment une bonne couturière. Cependant, on ne peut pas dire que j'avais été très exigeante pour mon habillement, juste le strict nécessaire.

Le costume de voyage que ma mère avait choisi, je le détestais. Je n'en voulais pas car il me vieillissait. J'avais l'air d'une femme de quarante ans. Et dans ce temps- là les femmes de cet âge avaient l'air d'en avoir vingt de plus, alors... J'avais vu un beau petit costume à mon goût, à la dernière mode et qui ne coûtait pas plus cher. Mais il tombait un peu droit aux hanches, il n'était pas ajusté, vous comprendrez que c'est pour cette raison que ma mère n'en voulait pas.

Pourquoi ?

Bien, elle pensait que les gens auraient pu croire que j'étais enceinte si je n'avais pas eu la taille bien cintrée. Pauvre d'elle, les gens qui passaient leur temps à porter des jugements ne se gênaient pas. Et ce n'est pas un petit costume qui les empêcherait de médire.

Il y avait une commère dans le village qui inscrivait toutes les dates des mariages dans un carnet. Elle faisait ensuite le décompte pour voir si un enfant naissait avant les neuf premiers mois du mariage. Ensuite elle colportait la nouvelle.


Elle n'était pas très gentille!

Non, vous avez bien raison, elle faisait plus de mal que bien des amoureux. Mais elle allait à la messe tous les matins. Le reste du temps, elle faisait de la calomnie et de la médisance. Ce qui était absurde c'est qu'elle était, malgré tout, considérée comme une très bonne personne. Une réputation ne valait pas cher entre ses mains.

Trois jours avant le mariage, nous avons eu la permission d'aller tous les deux rencontrer un notaire pour signer nos papiers. C'était la première fois que nous partions seuls tous les deux en auto, sans chaperon, avec la bénédiction des parents.Papa nous avait même prêté son auto. Le temps avait été bien calculé et moins de deux heures plus tard, nous étions de retour.

As-tu fait un grand mariage ?

Nous , papa et Céline en fille d'honneur, on voit maman en arrière de moi.

Oui, mes parents avaient invité toute la parenté du Lac -St -Jean et du Nouveau- Brunswick. Ils avaient aussi invité tous leurs amis et les patrons de mon père. Il y avait une centaine de personnes au mariage de mon coté. Du côté de Jean ils étaient cinq, son frère Louis, sa sœur Céline, sa sœur Pauline, son oncle qui lui servait de père et enfin sa tante, la sœur de sa défunte mère.

Nous avions presque toujours assisté à tous les mariages de mes cousins et cousines et ils nous rendaient cette politesse.


Jean n'avait pas les moyens de s'acheter un habit. Il avait loué pour l'occasion un veston blanc et un pantalon noir. Le matin du mariage, quand on est venu lui livrer le veston, il y avait une grosse tache dans le dos. Le vendeur lui en a trouvé un autre un peu moins chic mais qui lui allait très bien.

Je l'ai trouvé bien beau, quand même. Je n'avais pas l'habitude de le voir aussi bien vêtu. Je crois que je ne l'avais jamais vu avec une chemise blanche et une cravate.

As-tu eu de beaux cadeaux ?

Les cadeaux que nous recevions dans ce temps- là n'étaient pas aussi dispendieux que ceux que les mariés reçoivent aujourd'hui. Comme nous n'avions pratiquement rien de neuf, tous les cadeaux reçus nous comblaient.

Jean garderait ce qu'il y avait dans "son loyer " si ses sœurs n'en avaient pas besoin. Il n'y avait pas grand luxe dans ce que nous avions à notre disposition. Malgré tout, ce que nous avons reçu en argent nous a permis de faire un petit voyage de noces et de s'acheter un set de cuisine chromé qui était à la mode du temps.

Mes parents nous avaient offert un set de chambre que nous aurions aimé choisir mais...,il était quand même très apprécié.

Bien entendu, ces noces ont coûté très cher à mes parents ,pourtant, nous, nous n'en demandions pas tant mais j'étais quand même très contente de voir toute la parenté.

Ici nous retrouvons une partie de la parenté de mon coté

Les invités du coté de Jean....

Est-ce qu'il faisait beau le jour de ton mariage ?

Oui, très beau et très chaud, plus de 90 degrés F. La cérémonie du mariage était à dix heures. Nous devions nous rencontrer à la sacristie pour la confession. Quand Jean m'a vu arriver, il était bien content. Il m'a dit qu'il avait tellement peur que je ne vienne pas. Pauvre lui, cela faisait tellement d'années qu'il m'attendait.

Est-ce qu'il y a eu une réception après ?

Naturellement, nous sommes tous allés dans un très bel hôtel, Le St- Alex. C'était un gros hôtel entouré de sapins et de gros pins. Juste devant, il y avait un petit lac, avec les montagnes autour. C'était vraiment un bel endroit.

Pour une petite paroisse comme St -Alexis, la réception a été très réussie. L'endroit était assez spacieux et avec la chaleur qu'il faisait à l'extérieur, nous étions heureux de nous trouver dans une grande salle fraîche entourée de gens heureux de se retrouver. La grande majorité des invités qui venaient de l'extérieur en étaient à leur premier voyage dans notre beau coin de pays.

La journée du mariage est passée comme dans un rêve. Nous avons quitter la réception vers 15 heures, pour partir en voyage. On avait malgré tout l'impression que tout ce monde n'était pas là pour nous, mais pour mes parents.

Ici nous nous préparons à partir en voyage avec le costume que je n'ai jamais porté par la suite.

Et ton voyage de noces ?

Avec de l'argent que nous avions reçu en cadeau, nous avons loué l'auto d'un cousin de Jean. C'était une auto neuve et nous étions heureux comme des enfants à qui on fait enfin confiance.

Du jour au lendemain, notre statut avait changé. Traités en enfants hier, nous étions projetés dans le monde des adultes sur le simple fait d'avoir signé quelques papiers.

Où êtes-vous allés en voyage ?

Devinez ! J'aurais aimé aller au Nouveau -Brunswick. Mais comme tous étaient venus au mariage, il n'y avait personne pour nous recevoir. De plus comme nous n'avions l'auto que jusqu'au samedi, nous n'aurions pas eu assez de temps. Nous avons décidé d'aller au Lac- St- Jean malgré que nous en avions rencontré plusieurs au mariage, il en restait toujours et les autres auraient le temps de revenir. En fait nous n'avions pas non plus assez d'argent pour aller plusieurs soirs à l'hôtel.

Pour Jean, la destination lui importait peu. Il n'avait pas eu l'occasion de visiter ni l'un ni l'autre. Je crois bien qu'au fond de lui-même, il était aussi content d'avoir une auto pour quelques jours que d'avoir une femme à ses côtés. Il me disait en blaguant que l'auto, il ne l'avait que pour quelques jours tandis que moi, il m'avait pour la vie.

Franc mais pas trop sentimental, en tout cas,hi hi.

Le premier soir nous sommes allés coucher au Cap- de- la- Madeleine, petite ville un peu dépassé Trois Rivières. Nous étions en train de souper au restaurant du motel quand nous avons aperçu deux personnes qui demeuraient dans notre village.

Quand ils se sont mis à chuchoter après nous avoir apperçus , ils devaient penser que nous étions en fugue, nous avons joué le jeu. Nous avons fait semblant de nous cacher. Nous pensions à leur mine quand ils s'empresseraient de raconter notre escapade aux gens de notre village.

Comme il faisait très chaud, nous ne pouvions demeurer au motel. Nous avions le goût de prendre l'air et de marcher un peu. Il y a à cet endroit un centre de pèlerinage reconnu dans toute l'Amérique du Nord, le Sanctuaire de Notre Dame Du Cap. Nous nous y sommes rendus et avons demandé la grâce de vivre ensemble en harmonie et de toujours nous aimer.

Chaque année depuis maintenant 1955, nous y retournons à la fin juillet pour demander toujours la même grâce.

Nous sommes partis très tôt le matin. Jean est un lève tôt, moi j'aurais dormi encore quelques heures. J'avais besoin de beaucoup de sommeil mais il avait tellement le goût de conduire l'auto que là, c'était sa priorité.

Le paysage est très beau tout le long du St-Laurent en allant vers Québec. Nous étions bien, nous étions grisés par cette nouvelle liberté qui était pour nous une inconnue. Nous étions vraiment des enfants! Nos parents qui nous avaient tellement surveillés auraient été surpris de voir que le simple fait d'être ensemble et de faire enfin connaissance, nous suffisait, hi hi... pour l'instant.

Je crois que la liberté est un des sentiments qui m'est le plus précieux. Pour moi ça n'a pas de prix. J'ai dit à Jean, si tu veux que je demeure avec toi, il ne faudra jamais m'enlever ma liberté. Liberté de dire ce que je ressents, liberté de faire des choix, liberté d'être moi. De mon coté je m'engageais à le respecter aussi....

C'était tout un contrat qui serait difficile à respecter ,nous en étions conscients mais pour nous, avec l'amour tout était réalisable

Le dimanche au soir, nous avons couché dans un motel tout près du pont de Québec. Nous n'étions pas habitués à prendre de la boisson. Au souper, puisque nous étions de jeunes mariés, on nous a offert un apéritif que nous avons dégusté avec plaisir. Mais je ne l'ai pas digéré. Probablement était-ce dû à la fatigue. J'ai été malade une bonne partie de la nuit. Le lendemain, je n'étais pas très forte quand nous sommes repartis pour la traversée du parc national.

Nous avons décidé de coucher dans une auberge dans le milieu du parc. Nous étions en pleine forêt et il y avait un beau grand lac juste devant notre fenêtre.

C'était très long de traverser le parc. Les chemins n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'hui et j'étais bien contente de pouvoir enfin me reposer.

Il y avait deux lits dans la chambre et j'ai demandé à Jean si ça le fâcherait si je couchais dans l'autre lit. Il m'a dit que c'était parfait car lui non plus n'était pas habitué de dormir avec quelqu'un d'autre.

Vers quatre heures du matin, j'ai été réveillée par un orage électrique comme je n'en avais jamais vu. Les éclairs se reflétaient dans le lac et éclairaient notre chambre comme en plein jour. Le tonnerre faisait vibrer les vitres, c'était vraiment impressionnant.

J'étais bien contente de pouvoir me réfugier dans les bras de Jean qui ne s'est pas laissé prier pour me garder auprès de lui.

Arrivés au Lac-St-Jean, mon oncle Paul Émile, un autre frère de maman et ma tante Simone ont eu la gentillesse de réunir mes cousins et cousines pour une petite soirée en notre honneur.

 

 

Ma tante Bella nous avait invités à séjourner chez elle, elle était toujours aussi recevante. C'était chez elle qu'il y avait le plus de place et elle avait bien aimé Jean quand elle l'avait rencontré. Elle m'a dit en riant que j'avais enfin trouvé celui qui me mettrait à sa main, chère ma tante…Les quelques jours que nous avons séjournés là ont passés très vite. Nous avons pris un après-midi pour aller au bleuts et le reste du temps, visiter la parenté où nous avons toujours été très bien accueillis.

Nous sommes revenus à St-Alexis dans l'après-midi du samedi. Notre lune de miel était finie. Personne ne nous attendait, c'est comme si nous revenions de faire des commissions.

Ce soir-là, je couchais pour la première fois dans un logement que je n'avais pas eu le loisir de préparer. J'y entrais avec le sentiment que j'étais toujours un peu étrangère. Céline y habitait encore pour quelques jours. Elle attendait d'entrer au noviciat. J'avais l'impression de prendre la place de quelqu'un. J'étais un peu triste.

Jean avait commencé le soir même à travailler au théâtre, ainsi commençait notre nouvelle vie de jeunes mariés.

 

Octobre 1998, mai 1999. Québec, France.

 

Réflexions

Tout au long de mon récit, j'ai vraiment essayé d'être le plus fidèle possible à mes souvenirs. J'ai tenté de me rappeler les sentiments et les émotions qui m'habitaient au moment où se déroulaient les événements tout au cours de ma vie et de vous les transmettre le plus fidèlement possible.

Naturellement, avec le recul, ma perception est différente de celle d'une petite fille de 4 ans, de 7, de 12,de 17 ou 18 ans mais c'est celle que j'ai vécue que je vous ai transmise.

Comme je l'ai déjà dit, c'est ma vérité à moi et c'est la façon dont je voyais le monde des adultes et l'analyse que je faisais de ma vie, des gens que je côtoyais et des événements.

Ce n'est d'aucune façon un document pédagogique mais je suis contente d'avoir fait cet exercice. Cela m'a permis entre autre de me rendre compte que j'ai eu une enfance intéressante et assez formatrice. C'est la somme de toutes ces expériences qui font de moi, qui je suis aujourd'hui.

En toute amitiés ,

Ceci met fin aux nombreux récits anciens que j'ai, pendant tous ces mois, envoyés à mes jeunes correspondants. Ils ont été nombreux à lire, à analyser, à commenter et à questionner ces textes.

Cependant mon histoire n'en est pas pour autant terminée mais elle va se dérouler à partir du moment ou une idée fantastique m'a germée dans la tête et que vous découvrirez j'espère avec autant de plaisir que j'aurai à la partager avec vous.

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Chez Will