Comment gagnaient-ils leurs vies, les cultivateurs?
Bien,
ils vivaient principalement des produits de la terre, des
produits laitiers, de la vente des animaux. Il y avait aussi
la coupe du bois pour chauffer la maison et les étables où étaient enfermés les
animaux pour l'hiver; il y avait peut être d'autres sources de revenus,
mais je ne les connais pas.
Partout où il y avait de la terre à cultiver, que ce soit dans les paroisses ou
dans les rangs, on retrouvait toujours de beaux jardins qui
demandaient un entretien quasi journalier durant les mois d'été. Tout ce
qui était récolté servait à nourrir la famille et les animaux.
Les patates étaient entreposées dans une cave de
terre ainsi que navets, carottes et betteraves, afin d'éviter de faire
geler ces précieux légumes qu'on ne trouvait pas facilement comme
aujourd'hui.
L'hiver, ils engraissaient les animaux, poules, veaux, vaches, cochons afin de les vendre ou se nourrir.
Il y avait un sentiment d'appartenance très fort
entre ces gens de cœur, et si un malheur arrivait, on faisait un bi.
C'est quoi un bi ?
Faire un bi, c'est se réunir bénévolement
tous ensemble pour aider quelqu'un dans le besoin.
Par
exemple, si un habitant avait eu le malheur d'avoir fait détruire sa
maison ou sa grange par la foudre, tous se mobilisaient pour prêter
main forte aux sinistrés, fournissant même à l'occasion des matériaux
afin de rebâtir.
Ça
pouvait être de reconstruire l'étable qui était tombée sous le poids
des ans, ramasser le foin d'un autre cultivateur quand celui-ci était dans
l'impossibilité de le faire; c'était faire toutes les activités qui
demandent un urgent besoin, sans qu'il y ait de graves conséquences si ce
n'était pas fait.
Les
femmes et les enfants participaient aussi selon leurs compétences, soit
par la préparation de victuailles pour la famille et les travaillants
ou simplement en surveiller et amusant les jeunes enfants.
C'était vraiment des moments heureux… Et
tu as quelques souvenirs plus difficiles ?
Oui,
en voici un. Dans un rang de Normandin, à quelque six kilomètres du
village, demeuraient ma tante Léontine et mon oncle Philippe; il y avait
aussi une cousine de cinq ans mon aînée, Éliette et son petit frère Jean-Marc
qui avait six mois de plus que moi. Comme chez mes autres
parents, j'étais toujours la bienvenue, même si je n'étais pas toujours
sage.
Il y
avait une belle maison; il me semble qu'elle était jaune, assez
éloignée du chemin et nichée sur une colline, la vue était très belle. Comme
ce bout de pays est très plat, nous pouvions voir au loin.
Quand j'ai fait cette peinture à l'huile, je pensais à cette
maison si accueillante
Il y avait, comme chez tous
les cultivateurs, des granges et une étable.
J'adorais me faire conduire à l'étable pour voir les animaux et leurs
petits. Il y avait toujours des chats et des chiens qui avaient leur utilité, entre autres, déloger
les petits rongeurs et aller chercher les vaches dans les champs.
Jean
Marc était ce qu'on appelle aujourd'hui un super actif. Il avait de
beaux yeux bleus et était toujours sur une patte. Il n'avait plus de
dents en haut et faisait des grimaces en faisant rouler ses yeux,
probablement pour me faire rire. Il y réussissait à merveille mais,
j'aurais trouvé difficile de vivre avec lui tout le temps, je n'étais
pas habituée à voir bouger autour de moi.
Pour
que je m'en souvienne encore après toutes ces années, il devait
réellement sortir de l'ordinaire et je l'aimais beaucoup. C'est de chez
lui que j'avais eu mon beau cadeau, vous vous souvenez de mon petit
Marquis.
Ici ce n'est pas mon petit
chien, malheureusement je n'ai pas trouvé de photo de lui.
Avec
Éliette et quelques-uns de leurs amis, nous allions aux bleuets. Ici en
France, vous n'avez sans doute jamais entendu parler de la réputation
des bleuets du Lac-St-Jean!
Bien, je peux vous dire que
dans ce temps-là, cette réputation
n'était pas surfaite. Ils sont réputés encore aujourd'hui pour leur goût
sucré et leur grosseur. On dit parfois qu'il ne faut que trois
bleuets pour faire une tarte. Je crois que c'est un peu exagéré… hi hi.
Lorsque
nous allions aux bleuets, nous passions près d'une voie ferrée. Quand
passait une locomotive suivie de plusieurs wagons, nous nous arrêtions
pour regarder, médusés de voir ces trains. Il y avait toujours un garçon
pour nous raconter des histoires d'horreur sur les voyageurs de ces
trains. Affolés, nous, les plus jeunes, partions en courant pour ne
pas nous faire voler ou enlever par ces passagers étranges. Pour nous,
ces trains étaient un spectacle qui sortait de l'ordinaire. Nous
n'avions pas souvent l'occasion de voir et d'entendre d'aussi près ces
grosses locomotives.
Maintenant,
personne ne s'arrête pour regarder passer le train. Nous étions bien
naïfs et nous ne connaissions pas grand'chose. Mais dans notre petite
tête d'enfant, nous nous en retournions en pensant que nous avions été
épargnés d'un grand danger.
Pour
ce pique-nique, ma tante Léontine nous avait préparé un délicieux goûté
qu'elle avait déposé dans un panier d'osier, recouvert d'un beau papier crêpé vert.
Jean Marc est sous la petite
flèche et moi à ses cotés.
Quelques
années plus tard, durant le mois de décembre, mes parents m'ont annoncé
que mon petit cousin était mort et enterré. Il avait eu la scarlatine.
J'étais bien triste, et ma mère m'a trouvée dehors à faire des trous pour
retrouver mon petit cousin.
Quand
nous sommes de jeunes enfants et que nous ne connaissons rien de la
mort, c'est difficile d'imaginer que nous pouvons être mis en terre.
C'était
mon premier gros chagrin et la première fois que j'étais confrontée
avec la mort de quelqu'un de si près. Je l'ai cherché longtemps et il a
hanté mes nuits pendant de longs mois, mais jamais avec un sentiment de
peur, mais bien pour trouver un moyen de le faire revenir.
Ça
laissait un grand vide, car Jean Marc était tellement vivant! Super intelligent, il était déjà en 4ième année à 8
ans.
Ses parents l'aimaient beaucoup
et de toute leur vie, ils ne l'ont jamais oublié.
En effet ça doit être triste
de perdre un enfant si jeune!
Oui, très.
Vous, très jeunes, vous le savez pour avoir vu tant et
tant de fois à la télévision, ce qu'est la mort. Mais dans notre temps,
comme je vous l'ai déjà expliqué, nous n'avions pas tous ces références.
Nous apprenions très lentement les choses de la vie. À force
d'expériences plus ou moins heureuses, nous nous formions à la vie.
Pas
très longtemps après, j'ai aussi eu la douleur de perdre mon petit
Marquis. C'était un beau petit chien que j'aimais plus que tout. Il
m'écoutait comme mes parents auraient aimé que je les écoute. Je vous ai
raconté, il me semble, comment il est parti. J'ai eu beaucoup de
peine et pendant longtemps je ne pouvais pas en parler sans
pleurer.
Heureusement que ton oncle était
avec toi.
Et comment le savez-vous ?
Tu
nous en as déjà parlé, Wilda… Mais visiblement, c'est une histoire qui t'a
beaucoup touchée. On t'en achètera un autre… mais tu viens le chercher
en France…
Peut-être,
mais si je raconte à nouveau cet épisode, c'est que je n'ai pas trop
aimé être une fille unique. Je crois que ce petit Marquis a été la
meilleure chose qui me soit arrivée. Je l'aimais et il est devenu mon
meilleur ami. Il était là pour écouter ma peine. Il était mon confident.
Un
animal de compagnie nous permet de dire des choses que nous ne dirions à
personne. Il nous apprend aussi à être responsable d'un autre être
vivant, à subvenir à ses besoins. Pour moi, Marquis m'apportait beaucoup
de sécurité et de sérénité. Je crois que je n'étais pas un enfant
facilement heureuse, et ce petit paquet d'amour m'apportait ce qui me
manquait.
C'était
un petit Poméranien blanc miniature. Je le vois encore avec sa petite
tête intelligente qui pendait dans mes bras. Je venais de le ramasser
dans la rue… un très gros chagrin pour moi. Je vous en parle et même si
ça fait plus de 60 ans de cela, j'en ai encore le cœur gros.
Peut-
être que ce sont toutes ces expériences de vie qui font ce que nous
sommes et probablement que ces étapes, même difficiles, nous aident à
nous former un caractère et pouvoir traverser la vie avec philosophie.
…………..
Au sujet de ma correspondance:
J'envoyais toujours mes brides
de vie à chaque semaine et je devais les
reprendre à plusieurs reprises pour répondre aux diverses questions de
mes petits amis.
Je continuais aussi, pendant tout ce temps, à
communiquer par messages personnels avec mes nombreux jeunes
correspondants.
Je recevais des messages pathétiques quelques fois et je me trouvais
bien loin pour apporter une aide à ce jeune enfant violenté ou à cette
petite fille qui ne se sentait pas aimée dans sa famille.
Le mardi et le vendredi leur étaient destinés......
Je recevais entre 25 ou 30 messages chaque fois.
J'avais
ouvert un dossier pour chacun, et même s'il y avait des prénoms
identique , je savais que la petite Maggie qui était allergique aux chats était
différente de Maggie qui venait de se faire opérer.
Je
leurs répondais individuellement et avec les quelques phrases qu'on
m'avait envoyées, je brodais une bonne page afin de leur faire prendre un
peu de confiance en eux.
Comme je vous ai déjà dit, j'ai tout perdu cette correspondance; sans
cela, il m'aurait fait grand plaisir de vous en faire bénéficier vous
aussi.