Chapitre 8

Voyages et autres souvenirs

Bon, je vous ai déjà parlé de mes voyages au Nouveau-Brunswick ?

Non, tu ne nous en as rien dit. Peut-être que tu ne veux pas nous en parler ?

Bien non, voyons, excusez-moi, je me rattrape. Ce sont pourtant de très beaux souvenirs et cela me fait bien plaisir de les partager avec vous. Depuis mon tout jeune âge, durant l’été, mon père nous amenait visiter sa famille à Maisonnette. C’est un tout petit village de pêcheurs situé près de la Baie-des-Chaleurs, au Nouveau-Brunswick.

C’était toute une randonnée de partir de Normandin et de s’y rendre. Il n’y avait pas autant de propriétaires d’automobiles qu’aujourd’hui à Normandin et Dolbeau dans les années 1940 /47, mais il me semble que nous avons toujours eu un petit camion ça devait être pour le travail de papa. Pour les voyages nous avions une voiture qui n’avait pas le confort que nous connaissons aujourd’hui. La majorité des routes étaient en gravier et vous vous imaginez la poussière que les autos pouvaient soulever. Il n’y avait pas de climatisation, pas de flasheur et rien n’était aussi confortable que dans les automobiles de maintenant. Ça pouvait nous prendre deux jours pour arriver à destination. Nous couchions certainement en cours de route mais la petite fille qui s’en allait en voyage ne se préoccupait pas tellement de toutes les implications que demandent de tels déplacements dans les années 40.

Voici un beau souvenir d’une escale lors du retour, c’est tante Florence qui prend la photo, ma mère regarde attentivement son espiègle de fille de trois ans, bien installée sur l’aile de la belle voiture du temps. 

À Maisonnette, qui habitait là ? Est-ce que tu les connaissais bien ?

Dans une grande maison, à quelques mètres de la mer, habitaient des parents fort attachants. Nous y retrouvions ma grand-mère paternelle, je l’appelais Mémère Blanchard, mais son nom était Joséphine Gauvin, elle était veuve de mon grand-père Nelson Johnson dont je vais vous parler et peu plus loin.

Il y avait aussi mon grand-père Henri Blanchard, le deuxième époux de ma grand-mère. Nous y retrouvions aussi ma tante Alma, quelques années plus âgées que mon père. Il y avait aussi ma tante Florence, la deuxième fille de pépère Blanchard, qui était enseignante à Maisonnette. Tout près, de l’autre côté de la baie de Caraquet nous retrouvions aussi les familles de tante Allwilda, et de tante Exilia, celle-ci étant la première fille de pépère et mémère Blanchard. Une autre sœur de papa, ma chère tante Irène que je connais plus que les autres car elle demeurait à Montréal avec sa famille.

C’est un peu compliqué de vous en parler ainsi alors de vais vous les présenter en leur rendant hommage.

Natif de la Norvège, mon grand-père Nelson Johnson, avait fait carrière dans la marine marchande et lors d’une escale à St- Jean, au Nouveau Brunswick, il a rencontré et tombé sous le charme de Joséphine Gauvin qu’il a épousé malgré son jeune âge.

Elle était très belle selon les photos que j’ai déjà vues, elle était originaire de Maisonnette, petit village de la Péninsule Acadienne.

Ils ont été parents de cinq enfants : Alfred, Alma, Stanley, Irène et Allwilda.

Je n’ai pas hésité au plaisir de les réunir sur une seule photo même si ce n’est pas parfait.

Nelson Johnson était un marin aguerri et excellent nageur mais le destin a voulu que ce soit la mer qui l’emporte. Il s’est noyé près de son village d’adoption, Maisonnette. Il était accompagné de ses deux fils, Alfred et Stanley, alors très jeunes. Son beau-frère, Francis Gauvin était aussi dans l’embarcation.

Le temps était à l’orage et comme il était à la barre, il fut frappé par la bôme de son bateau à voile et fut projeté à l’eau. On raconte qu’il serait remonté à la surface à trois reprises sans qu’on puisse le secourir.

Ses dernières paroles furent « God bless you ».

Alfred dit « Freddy »

Alfred, le frère ainé de mon père est né le 16 mars 1900. Il s’est enrôlé volontairement dans l’armée alors qu’il n’avait que 17 ans. Il aurait modifié sa date de naissance pour se vieillir d’un an et ainsi pouvoir d’enrôler. Dans les faits pour faire partie du service militaire il fallait avoir 18 ans.

 Il fut tué au combat dans la bataille de Cambrai en France, le 29 septembre, 1918.

L’arrondissement de Cambrai est situé dans la Région Hauts-de-France. Il faisait partie du 72 e Bataillon Canadien. Il est inhumé au cimetière britannique de Haynecourt en France : Plot 1, Row D, Grave 18.

Selon l’Encyclopédie Canadienne et en lien avec l`âge de l’enrôlement pour la guerre 1914-1918, on peut lire ce qui suit : « …des adolescents mentent fréquemment à propos de leur âge réel. » et « Les unités ferment souvent les yeux pour enrôler des soldats en dehors des limites d’âge. » « On estime que 20,000 soldats en dessous de l’âge limite ont finalement réussi à s’enrôler durant toute la durée du conflit. »

Il a œuvré au Canada, en Grande -Bretagne et en France. Il a eu la Médaille militaire (France), la Military Medal (Angleterre) la Médaille de la guerre britannique et la Médaille de la victoire.

Cela a dû être une grande épreuve pour mémère de voir partir les hommes de la maison l’un après l’autre, car mon père, Stanley a dû quitter lui aussi quelques années plus tard pour se trouver de l’emploi. Finalement c’est au Lac ST Jean qu’il s’est fixé.

J’ai pensé ajouter tous ces renseignements pour les descendants des Johnson, Gauvin et Blanchard ainsi que des Fortin afin de connaitre un peu le parcours et le courage des gens qui nous ont précédés. Ils ont permis que nous soyons encore là aujourd’hui, et afin qu’ils ne soient jamais oubliés et demeurent à jamais dans nos cœurs. Ce sont nos racines.

Je viens de trouver cette très petite photo de ma grand-mère Joséphine accompagnée de son 2e époux Henri Blanchard et de mon père.

Nous n’avions pas les cellulaires à la main comme maintenant et je suis quand même impressionnée de trouver ces photos qui ont plus de cent ans avoir cette qualité d’image.

Peux-tu nous parler de ta grand-mère ? Comment avait été sa vie après le décès de ton grand-père Johnson?

J’ai très envie de vous en parler, d’autant plus que tout ce que je vais vous dire, je ne l’ai appris il y a juste quelques années auprès de ma tante Exilia qui malheureusement est décédée quelques mois après m’avoir raconté tout cela.

Après le décès de mon grand-père, ma grand-mère est restée avec cinq enfants à nourrir et à élever. Elle était dans la trentaine et vivait avec très peu de ressources. Après avoir vendu les biens de son époux, à prix de misère, il a fallu regarder la réalité en face et l’accepter.

Imaginez-vous comme ça devait être difficile de rester toute seule avec cinq enfants en bas âge puisque mon père devait avoir 6 ou 7 ans quand son père est décédé.

Heureusement, elle était très courageuse et débrouillarde.

Dans ce petit village de pêcheurs, à ce moment-là, c’était en 1912, la vie était difficile partout. Les enfants étant trop jeunes pour aider pécuniairement. Grand-mère qui était assez habile de ses mains, a cherché quel métier elle pourrait faire pour gagner sa vie et celle de sa famille. Elle s’était rendu compte à maintes reprises combien il était difficile de trouver des vêtements de cérémonie, soit pour un mariage ou pour d’autres événements importants.

Elle recevait un catalogue de la grande ville de Montréal et elle y commandait des tissus afin de confectionner des habits. Elle s’est donc lancée dans le métier de couturière. Voilà qui lui permettrait d’élever ses enfants en toute dignité.

Pour à peine quelques dollars, elle confectionnait, à longueur de journée, de ses mains et à la lueur d’une petite lampe à l’huile ou du soleil levant, les vêtements commandés.

Grâce à son habileté, à son courage à toute épreuve, et à sa grande détermination, elle a réussi à élever sa famille.

Cela a dû être extrêmement difficile pour cette mère de voir ses deux fils partir ainsi. Tous les souvenirs douloureux devaient remonter à la surface quand, plus tard, elle accueillait mon père comme le retour de l’enfant prodigue. Enfin j’imagine…

Elle a même réussi à faire instruire les trois filles de son premier mariage, Alma, Allwilda et Irène.

Son parcours est assez exceptionnel quand on pense qu’elle est devenue veuve à 30 ans avec cinq enfants, bien jeune pour être à la tête d’autant de responsabilité.

Elle faisait en revanche partie d’une grande famille, les Gauvin, qui demeuraient à proximité et probablement que les secours ont été là pour elle et sa famille.

Mon père, Stanley Johnson, était le 3e enfant,

tante Alma étant la 2e.

J’ai ici une photo de ma grand-mère Joséphine avec ses filles, comme elles ressemblent à leur mère. En partant de la gauche; Alma, Florence, Joséphine et Exilia, Irène et Allwilda devant mémère. Tante Exilia et tante Florence issue du second mariage avec Henri Blanchard


 

Ma tante Alma était une personne très cultivée, un peu bohème et avant-gardiste. Je crois qu’elle en faisait pas mal à sa tête. Si elle décidait d’aller travailler à Montréal, ou à New York ou en Floride, elle partait.

Elle était célibataire, donc sans attaches affectives. Elle parlait couramment deux langues. Elle était libre de son temps même si elle était obligée de gagner sa vie. Au début des années 40, ce n’était pas courant de vivre ainsi.

Comme elle avait la fièvre des foins, elle était toujours présente lors de nos visites durant les mois d’été. À ce sujet, il y avait eu, au Nouveau-Brunswick, une grande campagne de sensibilisation sur les méfaits de l’herbe à poux. Il fallait d’urgence la détruire. Tout le monde apparemment y avait participé. On avait donc réussi à exterminer en très grande majorité cette plante nocive et porteuse d’allergies. C’est donc sans tous les inconvénients rattachés à la fièvre des foins que ma tante séjournait à Maisonnette durant l’été.

Songez qu’en 1939-40 elle possédait une automobile et elle fumait. Gros scandale ! Rien ne semblait l’affecter et elle continuait sa route.

On m’a dit souvent que je lui ressemblais à plusieurs égards. C’était souvent de mes deux tantes du Lac-Saint-Jean que venait cette remarque. Elles la connaissaient un petit peu, car celle-ci était venue nous visiter à quelques reprises. De leur part, ce n’était pas un compliment.

Elles n’étaient pas très habituées à voir autant de liberté chez une femme.

Mais moi, cela me faisait plaisir qu’on me dise cela. Mon seul regret, c’était de ne pas la voir plus souvent afin de mieux la connaître. C’est d’elle, très souvent que je recevais ces belles surprises pour Noël. Vers 1950, elle a épousé un médecin, un peu plus âgé qu’elle, et s’est installée à Caraquet, une petite ville tout près de là.  Son mari est décédé quelques années plus tard. Elle est tombée malade vers 1960 du Parkinson. Elle s’est donnée à la science dans un hôpital de recherche, comme cobaye, pour expérimenter un nouveau traitement qui malheureusement n’a pas eu les effets escomptés. Elle est décédée à 72 ans après des années d’hospitalisation et de souffrances intenses. Quelle repose en paix.

Tante Irène, la 4e de la famille

Tante Irène, mariée à oncle Louis Roland David, ils demeuraient à Montréal. C’est chez elle que j’allais me promener plus tard, elle a été comme une deuxième mère pour moi, je l’aimais beaucoup, elle était une confidente à qui je pouvais tout dire.

Ils avaient quatre garçons Nelson, Stanley, Roland et Robert qui étaient un peu plus jeunes que moi mais avec qui j’avais beaucoup de plaisir.

Ici à gauche Louis Roland, Roland, cousin Claude, tante Irène et Stanley, le 2e fils. 

Leur mascotte Tilou, il avait été adopté à St Alexis et faisait partie intégrante de la famille David.


Le mariage de l’ainé des David, Nelson, en 1963 avec Doris Dupuis. Nelson avait fait sa connaissance lors de ses visites à St Alexis des Monts.

Je suis contente d’avoir cette photo car j’y retrouve tante Irène, tante Alma, des cousins et cousines et la famille David y est au complet avec les Haché.

Ma tante était une personne sans malice, elle était tellement dévouée auprès de sa famille que, malgré mon jeune âge, je trouvais que c’était trop. On prononçait Irene en anglais et mon oncle Roland étant diabétique se fiait beaucoup sur elle pour tout, c’était son infirmière attitrée.

Irène, Louis Roland et Alma à la plage de Maisonnette.

Stéphane, un premier petit-fils

Nelson, Doris, Irène, Roland, Maude et Stéphane.

Merci d’avoir fait partie de ma vie

Chez ma tante Allwilda et Edgar Haché, à Bas Caraquet.

Quel beau tableau !

Tante Allwilda était la 5e enfant de Joséphine et Nelson Johnson.

Tout près du cerisier nous trouvons trois générations.

Les grands-parents demeuraient dans cette maison ancestrale. Nous y retrouvons des Albert, Haché, Johnson. Madame Albert (Marie Landry) a dépassé les 100 ans et 6 mois comme elle le désirait.

Tante Allwilda a l’air très heureuse si bien entourée avec, devant elle, deux de ses fils Roland et Claude. Raymond est né un peu plus tard.

C’était toujours un plaisir de retrouver ce beau monde.

Le mariage de ma tante Exilia avec Séraphin Cormier, mes grands-parents à gauche, derrière la mariée, ma mère et mon père et les jeunes devant, Roland Haché et moi et la parenté.

Tante Exilia et oncle Séraphin Cormier résidaient à Caraquet, il y avait une grande galerie vitrée à l’avant de la maison et la grande route passait tout près, j’étais toujours impressionnée de voir les autos passer si vite près de nous. Le couvent et l’église étaient juste en face. L’a j’y retrouvais aussi un petit cousin Jean Guy et surprise une magnifique cousine qui ressemblait à une poupée, j’aurais tellement aimé l’amener avec moi cette chère Rose-Lynde

Ma tante était une cuisinière hors pair et lors de nos voyages nous y étions reçus comme des rois. Les fricots de morue et fruits de mer que nous avons dégustés là sont incomparables.

Mon oncle Séraphin était un pince- sans- rire et avec mon père, c’est à qui serait le plus comique. Je crois qu’ils s’appréciaient beaucoup et étaient toujours en spectacle pour la plus grande joie des convives.

À Caraquet nous y allions toujours à la fin de juillet, c’était la fête de ma mère le 27 et il y avait beaucoup d’activités à cette époque. La grande fête de Sainte Anne du Bocage, la Bénédiction des bateaux, le Tintamarre avec les drapeaux de l’Acadie et d’autres activités culturelles au centre-ville de Caraquet.

En entrant dans le village de Maisonnette, nous pouvions voir sur une petite colline la petite église et le presbytère où mon pépère Blanchard était bedeau. Je me souviens il était quasiment le curé tant il était investi dans son rôle au sein de l’église.

Quand nous arrivions là, nous y étions attendus avec impatience. Malgré leur vie simple, ils n’épargnaient rien pour nous recevoir. Les repas de fruits de mer étaient naturellement souvent sur le menu et nous nous régalions de tous ces plats exquis. Tantes Alme et Florence étaient aussi de très bonnes cuisinières et les plats étaient différents qu’à Normandin même si là aussi la nourriture était bonne.

Ma mère cependant y allait avec quelques réserves, car elle n’était pas habituée à ces changements. Elle n’était pas très aventurière.

Imaginez la joie que ma grand-mère éprouvait de revoir mon père et de serrer sa seule et lointaine petite-fille dans ses bras car à cette époque je n’avais que des cousins. Tout ce que je faisais était merveilleux. Naturellement, j’étais la plus belle, la plus intelligente, la plus…la plus…etc.

Les principaux attrais sont la mer et la Baie des Chaleurs qui entourent cette presqu’ile. Comme vous pouvez voir la mer entoure ce magnifique coin de pays.

Ici, la Pointe des dunes.

Les magnifiques coucher de soleil et le phare qui guide les pêcheurs

C’est pour cela que je voudrais évoquer le métier de pêcheur. C’est presqu’une vocation car ça commence très jeune au sein des familles de pêcheurs. Pour exercer ce métier, j’imagine qu’il fallait être très patient. Qu’y a-t-il de plus relaxant que de voguer sur une mer au gré du vent, cependant Maisonnette étant une presqu’ile les marrées rendaient le métier de pêcheurs assez dangereux quand il y avait des tempêtes.

Cette façon de vivre devait certainement avoir une influence sur le caractère et adoucir les comportements. En temps normal, il n’y avait jamais d’urgence. De plus, on avait tout le temps de penser à son affaire et peut- être de faire un petit examen de conscience. On avait le temps de songer aux moyens à sa disposition afin de régler les problèmes, au fur et à mesure. À l’aube, les pêcheurs partaient en espérant faire de bonnes prises, ils faisaient ce qu’ils devaient faire, mais n’avaient aucun pouvoir sur les résultats.

Arrivés au quai vers la fin de l’après-midi, ils se rendaient auprès du marchand qui les attendait pour acheter leur précieux butin. Il y avait toujours dans leur barge quelques poissons qu’ils rapportaient à la maison pour nourrir leur famille, sauf si un autre menu plus alléchant était annoncé.

Les gens qui habitaient le petit village de Maisonnette avaient à peu près toutes les mêmes préoccupations. Ils semblaient tous faire partie d’une grande famille. De plus on aurait dit que tout le monde était parent, les Blanchard, les Godin, les Gauvin, Cormier, Haché, Albert pour ne nommer que ceux-là.

L’entraide faisait partie de la vie de tous les jours et personne jamais ne se couchait sans avoir soupé. Un voisin avait certainement apporté quelque chose à manger s’il avait senti que quelqu’un était dans le besoin.

Les familles qui habitaient près de ma grand-mère étaient toutes nombreuses, mais je n’ai jamais entendu d’enfants pleurer ni se faire brutaliser. On semblait avoir beaucoup plus de tolérance envers eux.

Tous ces gens vivaient dans de petites maisons sans grand luxe et avec le minimum de confort, mais tous avaient le sourire aux lèvres. Ça c’est dans les années 1940-45 cela a bien changé depuis. Des anciens résidents reviennent quelques années plus tard soit pour construire un chalet ou revenir vivre une retraite dans ce pays enchanteur.

La publicité dit que ce n’est pas la fin du monde mais vous pouvez le voir d’ici.

                                        https://maisonnette.ca/

Photo prise lors du décès de ma grand-mère.

Nous voyons ici une belle photo qui regroupe Alma, Florence, Allwilda, Irène et papa. Tante Florence était célibataire et enseignante a Maisonnette. Elle est restée avec ses parents et en a pris soin jusqu’à la fin. Quel réconfort pour des personnes âgées de se sentir en sécurité et être certain que quoi qu’il arrive, il y aura toujours quelqu’un pour répondre à leurs besoins et leur tenir compagnie quoi qu’il arrive.

Gratitude. 

Photo de jeunesse de tantes Exilia,

Florence je crois et Irène.

Quand tu nous racontes tout ça, on a l’impression que cette façon de vivre semble très différente d’un endroit à l’autre ? Peux-tu nous en dire un peu plus ?

Enfant, ce que je ressentais entre Normandin et Maisonnette, c’était différent. Je crois aussi que la vie forestière et celle de la mer doivent avoir une incidence sur les comportements et les priorités de habitants.

Est-ce que tu jouais quelques fois avec ces enfants ?

Oui et j’aimais bien cela. Ils ne voyaient pas souvent un phénomène comme moi arriver dans leur petit patelin. Ils savaient par mes grands-parents quand j’arrivais. Ils m’attendaient avec impatience. Comme j’y allais tous les étés, ils me connaissaient. Pour eux, j’étais vraiment de la grande visite. J’étais aussi très heureuse de les revoir. Naturellement, mes désirs étaient toujours exaucés. Je n’avais qu’à dire que je voulais aller près de la grève pour qu’aussitôt ce soit la destination de tous.

J’étais une enfant assez turbulente, curieuse, mais pas malfaisante du tout. Je voulais être respectée, mais je respectais aussi les autres. Je vérifiais toujours avec eux si mon envie était aussi leur désir. Mais ils étaient tellement heureux de voir un peu de changement dans leur vie qu’ils étaient toujours d’accord avec moi.

Qu’est-ce que vous faisiez ? Alliez- vous vous baigner ?

Je n’avais le droit de me baigner que si des adultes nous accompagnaient.

Aux heures où nous nous rendions à la grève, la marée était toujours basse et nous aurions pu faire des centaines de mètres avant d’avoir de l’eau par-dessus la tête, mais, pour des raisons que vous connaissez, la peur d’un accident était toujours présente.

De plus, c’était difficile de s’y baigner, car il y avait beaucoup de petites roches qui nous piquaient les pieds. Comme je n’y étais pas habituée, il me fallait quelques jours pour pouvoir courir avec eux sur la grève.

Si tu ne pouvais pas te baigner, que peut-on faire sur une grève si en plus on ne peut pas courir?

Photo prise sur Internet qui démontre un peu comment ça se passait sur la plage.

Bien lorsque la marée baissait, il y avait à peu près une dizaine de mètres de beau sable doux. En regardant bien, on voyait de petites bulles d’air s’échapper.

Armé d’une petite pelle et d’une chaudière, on faisait la pêche aux palourdes, aux moules. C’était nouveau pour moi et je m’amusais beaucoup.

Cependant, pour mes petits amis, c’était encore une obligation. Chaque jour ils devaient faire cette pêche pour arrondir un peu les montants reçus par la pêche du père. Nous n’y mettions pas tous le même enthousiasme. Pour moi, seule, la pêche était un jeu. Naturellement ils prenaient mon butin : j’avais été avertie qu’il ne fallait rien rapporter, qu’il y avait tout cela à la maison.

Ma parenté trouvait drôle que je mange de tout sans faire d’histoire, on me disait que c’était bon alors je goutais et j’en redemandais.

Tu ne dis rien de ta mère… Est-ce qu’elle aimait ces voyages autant que toi et ton père ?

Non elle ne s’y sentait pas à l’aise. Au début, elle n’aimait pas trop les nouveaux plats qu’on lui proposait mais quelques années plus tard elle s’y est habituée et elle commençait à apprécier cette nourriture.

Elle avait développé un sentiment d’infériorité face à eux. Elle n’avait pas eu la même instruction et je l’entendais quelques fois en parler avec ses sœurs quand elle revenait à Normandin. Elle disait qu’elle n’était pas instruite et elle avait l’impression que c’était écrit sur son front.

Elle trouvait ces voyages toujours très difficiles. Ma mère était une belle femme, toujours bien mise, pas richement, mais avec goût. Elle était aussi bien que les sœurs de mon père, mais elle se sentait toujours à part des autres. Pourtant tous étaient très gentils avec elle. Aussi quand les trois semaines prévues pour le voyage étaient terminées, elle était très contente de faire les bagages et se préparer au retour.

As-tu d’autres expériences de tes voyages au Nouveau-Brunswick ?

Je me souviens y avoir été à un autre moment de l’année et les écoles étaient ouvertes alors j’ai accompagné une petite cousine. Elle avait demandé la permission et elle était tellement excitée que je puisse rencontrer sa maitresse d’école et ses amis. On m’a remis quelques livres afin de suivre les cours et j’ai été très surprise car c’était, pour la plupart, écrit en anglais ! Elle me répondit que c’était toujours comme cela depuis sa première année, je ne comprenais pas car tous parlaient français mais avaient une drôle de façon de dire les choses.

Même si je ne parlais pas l’anglais je comprenais presque toujours ce que mes amis me disaient cependant ma mère ne comprenait pas quand il y avait de la visite. Ma parenté parlait couramment le français et l’anglais mais quand ma mère était présente, juste le français était parlé par respect.

C’est quand même spécial qu’une province canadienne qui se doit d’être bilingue n’offre pas des livres dans la langue parlée des jeunes élèves, ça doit être très frustrant et difficile pour eux dont la langue parlée est le français.

Cependant le parler des acadiens est tellement intéressant moi ça me fascinais de les entendre mélanger quelques mots anglais aussi bien que français pour dire ce qu’ils ont à dire. C’est comme une musique qui nécessite toute notre attention.

En effet ça doit être difficile d’apprendre dans une autre langue ! Que faisais-tu d’autre durant tes vacances ?

D’aussi loin que je me rappelle, j’aimais bien aller m’asseoir sur un rocher et entendre le bruit de la mer. J’aurais pu demeurer là des heures, tranquille, bien oui tranquille, à écouter le bruit des vagues. Mon rêve serait de finir mes jours près de la mer, j’ai l’impression qu’elle nous parle constamment et que nous ne sommes jamais seuls près d’elle.

C’est avec un peu de nostalgie que j’évoque tous ces souvenirs aujourd’hui.

Nous entendons dire quelquefois qu’il faut vivre chaque instant intensément, comme c’est vrai !

Quand on est enfant, on ne pense pas à cela…ni même quand on est un jeune adulte…ni même quand on prend de l’âge. Mais le fait de me rappeler tous ces beaux souvenirs me fait voir la justesse d’une telle affirmation.

Vous rendez-vous compte, mes chers amis lointains, du ménage que vous m’avez fait faire dans mon cœur et dans ma tête en m’obligeant à trouver un sujet qui répondrait à vos interrogations?

Quand j’ai commencé cette démarche, je ne pensais pas mettre ainsi mon âme à nu, mais j’ai senti en vous le désir de connaître autre chose, en restant fidèle à mes souvenirs, pas toujours heureux; je vous ai respectés et j’ai parlé du sujet que je connaissais le mieux, moi et ma vision de la vie. Je l’ai fait en pensant que tout cela pourrait vous aider personnellement.

Je ne suis pas un être extraordinaire, je ne suis pas non plus une victime, mais un être comme tous les autres qui a vécu des situations qui font partie de la vie courante et qui forme un être, comme chacun de vous, unique. J’avais déjà écrit plusieurs chapitres de ma vie en tentant, ici et là, de donner quelques petites recommandations.

J’envoyai donc un message à Denis lui demandant si je ne devrais pas arrêter ici, car nous étions rendus en février et je me demandais si ça intéressait toujours les jeunes, imaginant qu’ils commençaient peut-être à en avoir assez.

Je vous mets ici une partie de la correspondance

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Provin, le 17 février 1999

Chère Wilda…Oui j’ai fait un peu le vide suite au décès de ma grande amie, fait difficile à accepter. J’ai pris des marches, je me suis aéré l’esprit, ça va maintenant. J’ai reçu tes photos… Dis donc, je comprends que tu aies pu séduire… Ouah. !!!

Mais une chose m’inquiète… beaucoup.

Pourquoi veux-tu t’arrêter là?

Je trouve que ta vie vaut le coup d’être connue… Ne t’inquiète pas pour mes gamins. Ils t’adorent et seraient déçus si tu ne continuais pas… Je crois qu’ils seraient prêts à t’entendre… et ce serait dommage de ne plus avoir de lecteurs aussi bienveillants que nous… (rires)

Alors, s’il te plaît, continue.

Au fait, avec ton texte sur la violence, j’ai préparé un exercice sur « l’argumentation explicative » pour mes grands élèves… sans doute ne connais-tu pas cette catégorie de textes, mais tu es l’exemple parfait de ce que je cherche depuis longtemps.     À la relecture de ton texte, je me suis dit  » : Voilà ce qu’il me faut… » J’avais l’habitude de te lire, non pas comme une ressource pédagogique, mais comme une tendre correspondance. Voilà que tu rentres désormais dans ma banque de textes, dans mes démarches didactiques…

Je t’embrasse très fort… Et surtout continue.

Ton ami Denis.

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Au cours de la semaine, il y avait eu un geste d’impatience de la part d’un enseignant envers un élève et mes petits amis m’en avaient parlé.

Cela semblait les affecter beaucoup et ils me demandaient mon opinion.

Naturellement je ne connaissais pas toutes les données et jamais je n’aurais pris parti. J’ai plutôt tenté de dénouer l’impasse en leur écrivant un texte sur la violence dans lequel je me mettais en cause.

Je ne me souviens plus de la teneur de ce texte, mais il tentait surtout de dédramatiser tout cela. Apparemment à la suite de ce message, comme le dit Denis, cela a aidé au moins certains élèves à verbaliser et ainsi canaliser leur agressivité de façon positive.

En me remémorant tous ces souvenirs je me rends compte que j’ai eu une vie intéressante et que grâce à mes expériences je pourrais peut-être aider ces jeunes à analyser un peu plus certains événements et tenter de trouver des solutions.

Pour vous qui lisez et regardez toutes ces photos, c’est peut-être moins intéressant que la parenté puisque vous ne connaissez pas les gens que je vous présente. Soyez patient je vais revenir au récit de mon fabuleux voyage qui j’espère vous intéressera. Je continuerai aussi de répondre aux questions indiscrètes de mes jeunes amis.

Que la vie soit bonne pour vous.