Chapitre 7

Début scolaire

Merci Wilda…tes histoires nous font du bien… Mais il y a une chose qui nous intéresse beaucoup. Si tu nous parlais de tes années d’école… Tu peux nous raconter ta première rentrée?

Mes petits amis, sachez que l’idée d’aller à l’école m’a remplie de joie. J’étais aux anges, j’aurais enfin des compagnes de jeu et j’apprendrais finalement à lire. Je pourrais savoir l’histoire dont je connaissais toutes les images par cœur. À ce moment-là, il n’y avait pas, comme aujourd’hui, la maternelle avant le primaire. Nous entrions tout de suite en première année.

Il fallait inscrire les enfants de six ans révolus avant le premier octobre. Comme ma fête est en janvier, je n’ai donc pas pu commencer avant six ans et demi.

Il y avait cependant, une étape à franchir dont j’avais entendu parler et qui m’empêchait de dormir depuis quelques jours.

Quelle sorte d’étape ?

Nous devions recevoir un fameux vaccin. Il faisait mal. Le médecin grattait la peau, grand comme un  » dix sous « , en faisant des petits traits sur le haut du bras. Ensuite il injectait un médicament. Ça faisait une grosse gale qui devait tomber toute seule. Il fallait quelquefois attendre plusieurs jours. On faisait cela pour combattre les maladies infectieuses qui souvent étaient mortelles ou laissaient des séquelles pour la vie.

La médecine n’était pas aussi avancée qu’aujourd’hui et les traitements se résumaient à bien peu de choses. J’étais très aventurière pour les activités que je choisissais, mais très peu pour celles que je devais subir.

Tu sembles avoir peur du vaccin ? Ça s’est passé comment ? Raconte.

Eh bien, vous ne serez pas fiers de moi, je le crains ! La vaccination se passait dans une grande salle et tous les petits bouts de choux attendaient en ligne. Moi aussi. Chanceux, celui qui passait le premier. Il n’avait pas la peur que provoque le fait de voir un autre enfant réagir et hurler comme je l’ai fait.

Bien sûr, je n’étais pas la seule à avoir peur, mais je crois que j’étais la plus convaincante. J’en suis pas mal certaine. Plus mon tour avançait, plus je tremblais. Je m’accrochais à ma mère de toutes mes forces et j’essayais de ne pas pleurer. Je l’implorais seulement de partir avec elle.

J’entendais des femmes donner des conseils : « C’est une bonne volée que ça y prendrait, est trop gâtée vot’ fille’ « . Heureusement ma mère restait sourde à leurs recommandations. Je m’en sortais en me faisant brasser un peu et avec quelques serrages d’ouïes.

Quand finalement mon tour est arrivé, c’était l’enfer ! Un moment, j’ai réussi à m’esquiver en partant à courir. Mais « des âmes charitables  » m’ont barré le passage. Vous savez, on appelle ça la solidarité … Moi ce n’est pas celle-là qui m’intéressait

Bon, revenons à notre vaccin

À deux ou trois, ils ont réussi à m’empêcher de bouger. Pendant quelques minutes, personne n’a pu dire un mot. Le bruit de fond était trop prononcé….

Quand tout a été enfin fini, le cœur bien gros, j’ai essayé tant bien que mal de me calmer. Bien heureuse que ce soit fini, je n’étais naturellement pas très fière de moi. Je repensais qu’il faudrait revenir une autre fois, dans un mois, pour voir si le vaccin avait bien pris. Ma mère était fatiguée et au bord des larmes. Elle aussi, elle avait essayé de me faire entendre raison. Mais elle se sentait très gênée devant la piètre démonstration de sa fille. Bien sûr, nous avions parlé, elle et moi, de ce mauvais moment à passer. Je lui avais promis que je ferais la grande fille. Mais au moment fatidique, ma peur était plus grande que tout. Je n’avais plus aucun contrôle, le vaccin me terrifiait, car j’en avais déjà entendu parler, et quelquefois on a peur d’avoir peur. Vous rencontrerez des événements comme cela dans la vie et la peur est parfois bien mauvaise conseillère.

Je crois que la peur incontrôlable que j’avais eue à la Mi-Carême ne m’aidait pas dans ces circonstances si traumatisantes.

Le vaccin laisse une marque qui demeure toute la vie sur le bras; sans doute que chez vous, il y avait cela aussi. En consultant vos grands-parents, ils vous montreront probablement leur petite cicatrice avec un petit sourire en coin. Demandez-leur de vous en parler. S’ils vous disent que ça ne faisait pas mal, c’est probablement qu’ils étaient des braves…

Voici le couvent Sainte Marie des Sœurs du Bon Conseil, à Normandin.

Ce mauvais moment passé, la rentrée s’est bien déroulée ensuite ?

Très bien même. J’étais tout excitée de partir avec mon petit sac tout neuf. J’étais chanceuse d’avoir toutes ces choses neuves. Plusieurs de mes copines avaient les effets de leurs frères ou de leurs sœurs plus âgées. Parfois, il manquait même quelques pages dans les cahiers et ils n’étaient pas toujours très propres.

Comme tout enfant, j’étais contente de montrer mes beaux crayons de couleur et mes beaux cahiers neufs. Sans le savoir et sans faire exprès non plus, je n’avais pas pensé que toutes n’avaient pas la même chance que moi. Pour certaines, je crois que mon attitude a engendré des marques de convoitise bien compréhensibles. Bien que je n’aie aucunement voulu blesser quiconque, une fille un peu plus âgée que les autres m’a dit « J’aime mieux avoir les cahiers de mon frère et ne pas avoir les yeux croches. »

Elle avait bien raison moi aussi, j’aurais préféré, mais…

Lorsque nous faisons des remarques désobligeantes sur le physique d’une personne, ça fait mal. On ne choisit pas tel ou tel défaut et ce sont des lacunes qui nous rendent différents. Il faut essayer de les accepter.

Une personne qui, par exemple, fait de l’embonpoint essaie de vivre cette différence en toute connaissance de cause. Alors, pourquoi le lui rappeler à tout instant. Un garçon est moins grand que les autres, il a probablement d’autres qualités bien plus importantes que les quelques centimètres manquant pour être dans la norme.

Dans chaque personne il y a des plus et des moins … Autant se préoccuper des plus et de s’en servir pour faire quelque chose qui sort de l’ordinaire.

Il y a une phrase ou une prière que je dis depuis si longtemps que je ne sais pas quand je l’ai apprise.

Tu peux nous la dire ?

C’est la prière de la sérénité! Je trouve que si nous pensons bien à ce que nous disons et que nous le mettons en pratique, notre vie en sera beaucoup facilitée. Peut- être la connaissez-vous déjà, c’est une prière universelle.

Ça se dit comme suit : Mon Dieu, donnez-moi la Sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer.

Le courage de changer les choses que je peux et la sagesse d’en connaître la différence…

En résumé, ça veut dire que si je mesure 4 pieds et 10 pouces 1/2, je dois l’accepter, même si je suis très courageuse et que j’aimerais bien changer cela je n’y arriverai pas car c’est hors de mon contrôle.

La dernière phrase est, je crois, la plus importante :  » la sagesse d’en connaître la différence. « 

Alors même si je veux être plus grande et mesurer 5 pieds 4 pouces, c’est irréalisable. Je n’ai aucun pouvoir sur ce fait, que je le veuille ou non.

Alors pourquoi dépenser des énergies afin de souhaiter quelque chose d’irréalisable ? Mieux vaut, à mon avis, me centrer sur les choses que je peux changer.

Est-ce que vous en comprenez le sens ?

Quand ma mère suivait mon père dans les chantiers ou ailleurs, je me retrouvais donc pensionnaire.

Naturellement, je n’avais pas le droit d’être interne avec mes six ans ou sept ans. Je ne sais toujours pas comment mes parents ont réussi à m’y faire admettre malgré mon jeune âge. Ici je suis dans la 2e rangée, la première à gauche.

Pour le temps d’alors, c’était un beau grand couvent, tenu par les Sœurs-Du Bon-Conseil. On y prenait des pensionnaires âgées de douze ans et plus et des externes du primaire et du secondaire qu’on appelait 7e 8e et 9e années.   

Je suis la 3 e, première rangée en partant de la droite.

Les pensionnaires étaient des jeunes filles des rangs alors trop éloignés du village pour voyager soir et matin. Il faut dire aussi que les cours les plus avancés ne se donnaient pas dans les petites écoles des rangs. Les garçons et les filles étaient toujours séparés, même à l’église.

Comment ça se passait, tu restais tout le temps au couvent ?

Bien non, je demeurais au couvent du dimanche soir au vendredi soir. Les fins de semaine, j’habitais chez ma tante Irma.

J’étais bien chez eux, mais la vie aurait été plus facile si mon cousin Jean Marie ne s’était pas mis dans la tête de former mon caractère. Il disait qu’il fallait que ça change, que je pleurais souvent, que j’étais très boudeuse. En fait, je m’ennuyais de mes parents quand ils étaient loin.

Quand le cafard arrivait, il me faisait fâcher en me disant que je n’entendais pas à rire et qu’il continuerait jusqu’à ce que j’en rie avec lui… Le seul résultat qu’il obtenait, c’est que je devenais encore plus susceptible.

Mon oncle Edmond tentait bien de faire cesser ce petit manège, mais il n’était malheureusement pas toujours présent. De plus c’est ma tante qui menait la barque et elle avait l’air de bien s’amuser de me voir faire mes petites crises. Elle était très taquine et j’avais beaucoup d’affection pour elle.

La psychologie de l’enfant dans ce temps-là était une idée mal connue. Personne ne pouvait imaginer qu’une enfant qui n’a plus de vrai foyer pour plusieurs mois se sente un peu délaissée et ait du chagrin.

J’étais encore une petite fille et j’étais malheureuse et je ne savais pas comment exprimer mon chagrin. Je me sentais délaissée car en plus je n’avais pas très souvent des nouvelles de mes parents.

Heureusement pour moi, je me suis faite à la vie du couvent assez vite. C’était une tout autre vie qui commençait pour moi. Je n’avais jamais expérimenté le fait de coucher dans un grand dortoir avec beaucoup de monde autour.

On m’avait acceptée malgré mon jeune âge, mais on me fit coucher dans le même lit que ma cousine Éliette. Vous la connaissez maintenant, elle était la sœur de ce cher Jean Marc.

Nous trouvions cela difficile toutes les deux de coucher ensemble, ce n’était pas dans nos habitudes. En plus elle devenait comme ma marraine.

Ça voulait dire qu’elle était un peu responsable de moi. Voir à ce que je sois propre et bien coiffée, entre autres.

À cette époque, plusieurs se faisaient des boudins. On prenait une corde assez grosse d’à peu près 12 à 14 pouces et on entortillait nos cheveux autour de cette corde et on faisait un nœud avec les deux bouts de la corde. On couchait avec cela et le lendemain on enlevait la corde et les cheveux avaient gardé la forme ronde.

Alors ma chère cousine avait la tâche ingrate de me faire cela, hi hi et j’étais sensible, pauvre elle, elle faisait son possible et elle se faisait quelques fois réprimander par mère Odile qui prenait grand soin de ses petites brebis et comme j’étais la plus jeune pensionnaire, on m’accordait beaucoup d’attention et vous vous imaginez bien que ce n’était pas pour me déplaire.

Malgré mon jeune âge, je devais suivre la routine et les habitudes du pensionnat. Lever très tôt, assistance à la messe tous les matins. Pas question de faire mon petit manège dans les bancs… Ce n’est pas que je n’aime pas les lieux saints, mais vous savez maintenant que j’aime être seule avec Lui.

Le matin très tôt, nous devions faire notre toilette assez rapidement devant les lavabos en faisant bien attention de ne pas dévoiler un petit bout de peau. Vous est-il arrivé de vous habiller avant d’enlever votre jaquette ?

Il fallait faire toutes sortes de torsions et de passe-passe, pour réussir à mettre nos sous-vêtements et nos vêtements. Il fallait travailler très fort sous notre jaquette afin de ne pas être vue de personne. Ensuite nous enlevions notre jaquette. C’était comme si nous avions dormi tout habillé sous cette carapace.

Vous semblez trouver cela drôle, mais la morale était très sévère et le moindre manquement à la règle était sans appel.

On voyait des péchés partout et les plus réprouvés étaient les péchés qu’on disait de la chair. Tout était mauvais : une mauvaise pensée, un mauvais regard, un mauvais toucher. Bien souvent on ne savait pas quoi dire et ce que signifiaient ces mises en garde.

Comment peut-on former une génération confiante en elle, avec autant de restrictions et le sentiment de ne jamais être correct ? Pourtant elles ne faisaient qu’appliquer les règles du temps.

Nous prenions un bain par semaine et avec nos sous-vêtements, s’il vous plaît. Les gestes que vous faites maintenant régulièrement, comme prendre une douche nue, auraient été vus comme une faute grave. Le fait de vous essuyer devant un miroir n’aurait jamais été permis. Comme vous voyez, la réprobation ou la répression s’exerçait sur tous les plans.

Nous vivions dans la crainte de Dieu et du jugement dernier, au lieu de vivre en confiance.

Naturellement, il n’y avait absolument rien de répréhensible dans nos comportements. Si nous étions un peu fières on disait que nous étions orgueilleuses, si nous avions le malheur de penser un peu à soi, nous étions à ce moment-là, égoïstes… ainsi de suite.

Ce n’était pas pire là qu’ailleurs : partout c’était la règle à suivre.

Je me compte chanceuse d’avoir eu un caractère qui m’a permis de m’adapter à ces diverses situations. Cela rend les choses beaucoup plus faciles.

Étant d’une nature assez sociable, je me suis fait assez vite des amies. Voilà ce qui me changeait d’avoir autant de temps à partager avec des filles.

Comme j’avais été élevée surtout avec des garçons, comme disaient mes tantes, j’étais une petite « garçonnière ». Dans ce nouveau lieu, j’apprendrais sans doute à mieux me tenir et à être plus féminine.

Durant les cours, j’étais avec des filles de mon âge. Mais vers la fin de l’après-midi, elles partaient toutes pour chez elles. Je peux affirmer que j’étais une bonne élève. L’horaire des pensionnaires était fait en fonction des études et des travaux pratiques.

Entre 18 heures 30 et 20 heures, c’était le silence, en salle de travail pour les devoirs et les leçons. Or, quand on est en première année ou en deuxième, on en a vite fait le tour des devoirs. Il me semble que j’avais la permission, quand une religieuse ou une jeune fille avait vérifié si je connaissais ma matière, de faire du dessin ou de la lecture.

Avec un livre, on n’est jamais seul, on peut se retrouver dans un autre monde et faire partie de l’histoire. Il permet de s’évader et d’apprendre beaucoup de choses intéressantes. C’est quelque chose qu’on peut faire pratiquement partout, et à peu de frais.

Je me souviens aussi qu’on m’avait accordé une permission spéciale. Quand les autres partaient chez elles, je pouvais aller m’acheter un cornet de crème glacée au restaurant juste à côté du couvent. Aussi, aux beaux jours, je ne manquais pas mon rendez-vous.

C’était juste à la fin de la guerre. Il y avait de grosses campagnes de sollicitation pour aider les petits Chinois. Il y avait un genre de concours dans les classes avec un tableau et des mentions pour celles qui donnaient le plus de « 25 sous. « 

Pour la grande majorité des petites filles, il était impensable de donner ce qu’elle ne possédait pas. La tâche devait être difficile pour elles. Ce n’était pas leur faute, mais ça les mettait quand même à la gêne. Souvent, on faisait l’éloge de celles qui donnaient régulièrement et blâmaient à mots couverts celles qui ne donnaient rien. C’était injuste, car celles qui étaient félicitées fournissaient beaucoup moins d’efforts que d’autres qui n’avaient donné qu’une ou deux fois et en se privant beaucoup.

Moi, mes parents laissaient un peu d’argent à la mère supérieure au cas où il y aurait des besoins imprévus. Les cornets à cinq cents ne grugeaient qu’une partie de cet argent, où pensez-vous qu’allait la balance. Je n’étais pas plus fine, ni mieux que les autres, mais j’avais toujours la médaille.

Pourquoi « 25 sous »? Que faisait-on avec cet argent ?

En fait, ce montant devait, selon les dires des religieuses, sauver la vie d’un petit Chinois ou d’une petite Chinoise. Qui parmi vous n’aimerait pas sauver vraiment la vie d’une personne en donnant une petite aumône ? Je suis certaine que chacun de vous le ferait avec plaisir.

Lors de notre don, on nous remettait la photo d’un petit Chinois et nous lui donnions un nom. Je pensais à cela dernièrement et je me disais que si tous les enfants dont je me suis « occupée « débarquaient chez moi, la population de Montréal augmenterait de façon considérable.

Je ne sais pas si cet argent a vraiment aidé ces gens. Tant mieux si cela a été le cas. De toute façon, c’était fait en toute générosité par les enfants… J’ai, par contre, quelques réserves à faire sur les méthodes employées pour aller chercher ces montants.

Je crois que celui qui peut aider doit le faire en toute humilité et toute générosité. Celui qui ne le peut pas ne doit pas pour autant en être pénalisé. Bien entendu, à ce moment-là, je ne raisonnais pas comme cela, mais j’essayais, le plus possible, d’oublier de porter la médaille. Il n’en était pas de même pour la médaille de bonne conduite qui m’apportait beaucoup plus de satisfaction. Bientôt, au pensionnat, je suis devenue le chouchou de tout le monde. On me trouvait bien jeune et je crois que ces jeunes adolescentes me prenaient un peu sous leur protection. Ce qui n’était pas pour me déplaire naturellement.

Quelle sorte d’élève étais-tu ? Quelles étaient tes matières préférées ?

J’étais une bonne élève, studieuse et désireuse d’apprendre. J’avais de bonnes notes, c’était quasiment difficile de ne pas en avoir. Je crois que je n’ai pas grand mérite vu le temps obligatoire d’étude que je devais consacrer à mes devoirs.

Il n’y avait pas beaucoup de matières enseignées. C’est vrai que c’était dans les premières années, mais je crois que j’étudiais le français, les mathématiques et la religion. Comme une très grande partie du temps de travail était réservée à cette dernière matière, il ne restait pas grand temps pour autre chose.

Ah oui ! Le vendredi après-midi c’était le dessin que j’appréciais tout particulièrement. J’étais aussi très sensible aux récits que j’entendais, surtout ceux qui parlaient de la passion du Christ. Immanquablement, je partais à pleurer et c’est le cœur bien gros que la journée se terminait.

Je ne pouvais pas m’habituer à entendre le récit d’un homme flagellé et couronné d’épines. Cet homme n’avait fait aucun mal, il était foncièrement bon et différent. Je ne tolérais la cruauté sous aucune forme. Toutes les histoires religieuses sur le jugement dernier qu’on me racontait, aussi horribles les unes que les autres, me remplissaient d’horreur.

Une fois, alors qu’on s’attardait sur toutes les souffrances qu’on Lui faisait endurer, je me suis même évanouie.

Vous vous souvenez que toujours, c’était la crainte de Dieu qui était mise de l’avant, quel gâchis! On nous annonçait qu’Il était infiniment bon et infiniment parfait, mais en même temps on nous disait que tous ceux qui n’avaient pas eu le Sacrement du Baptême iraient dans les limbes ou en enfer et subiraient toutes les tortures imaginables. Il ne fallait pas être trop intelligent pour se rendre compte qu’on nous servait de l’enseignement contradictoire.

« Si Tu es infiniment parfait, tu ne peux tolérer une telle injustice.  » C’est sans doute cela que je devais me dire…

Fort heureusement, là aussi les choses ont changé. La religion est beaucoup plus tolérante. Elle ne raconte plus de telles choses.

Ma matière préférée était le français, la composition dans laquelle je pouvais laisser aller mon imagination débordante. Mais j’étais meilleure en mathématiques.

Vous connaissez ma soif d’apprendre et la satisfaction que j’ai à écrire maintenant, et pour moi c’était facile d’inventer, le plus difficile, c’était de m’arrêter. Cependant, pour ce que je vous partage ici, vient des souvenirs enfouis au plus profond de moi et qui me reviennent tout doucement.

En revanche, je ne comprenais rien en analyse et beaucoup de difficulté dans la synthèse et principalement dans l’accord des fameux verbes. J’espère bien que je me suis améliorée et que vous ne trouverez pas trop de fautes dans mes textes.

Il fallait être patient avec moi afin que je comprenne le principe de la chose. Quand je saisissais le pourquoi, je pouvais faire ensuite un bon bout. Je me souviens aussi que dans l’après-midi, pour les pensionnaires, il y avait une collation vers 15 heures.

Il n’y avait pas autant de choix que dans les chantiers, mais on nous servait des tranches de pain beurré avec de la mélasse ou avec du beurre d’arachide.

Nous avions droit d’en prendre deux. Quelques fois quand le dîner n’avait pas été tout à fait à notre goût, cette collation était très appréciée. La plupart des élèves prenaient une tranche de chacune et en faisaient un sandwich. Essayez cela, c’était très bon au goût, bon pour la santé et très soutenant.

Avais-tu des amies ?

En fait, je n’avais personne en particulier. Avec les horaires et les règlements très sévères, il était difficile de se lier d’amitié. Il y avait probablement des petites filles avec qui je m’adonnais mieux, mais nous n’avions pas la chance de nous connaître beaucoup en dehors des heures de classe.

Je n’avais pas, comme vous, la chance d’aller coucher chez une petite copine. Je ne crois pas qu’il y en ait eu beaucoup de ma génération qui ont pu le faire.

Tout compte fait, la vie de pensionnat a été assez heureuse et très formatrice pour moi. Je suis persuadée maintenant que j’attendais moins des étrangers que de mes parents. Je n’ai donc jamais été déçue.

Bien que les besoins de mes parents aient quelque peu changé, je suis demeurée quatre années pensionnaire par intervalles irréguliers.

Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Bien, au cours de ma deuxième année de scolarité, mes parents ont décidé d’acheter un restaurant à Dolbeau et de ne plus aller dans les chantiers.

C’était une belle petite ville à peu près 25 kilomètres de Normandin. La mentalité y était différente, et beaucoup plus cosmopolite. Une grosse compagnie anglaise de coupe et de transformation du bois s’y était établie. Nous y retrouvions des gens de partout. Ils voulaient travailler au moulin à scie ou dans le bois ; on y parlait aussi l’anglais et le français et peut-être d’autres langues, mais je ne peux l’affirmer.

Naturellement, pour moi, ce déménagement a été une très bonne nouvelle : je ne passerais plus de temps éloignée de mes parents. Comme l’année scolaire était commencée, on a décidé de ne pas me déranger. Les fins de semaine, plutôt que d’aller chez ma tante, j’irais à Dolbeau, pas de problème.

Ceci faisait aussi mon affaire, car je me plaisais bien au couvent. Je me sentais bien avec tout ce monde. C’était pour moi comme une grande famille et j’aurais eu de la peine de laisser mes compagnes et les religieuses que j’appréciais beaucoup.

Comment voyageais-tu ?

Il y avait un service d’autobus régional qui venait de Chicoutimi et qui passait à Normandin le matin et le soir. Le vendredi soir, je partais, toute seule, avec ma petite valise attendre l’autobus pas très loin du couvent. Je crois que quelqu’un venait me reconduire le dimanche soir mais ce n’est pas certain, je reprenais peut-être l’autobus de retour.

Mes parents avaient parlé au chauffeur, c’était toujours le même et il me gardait une place en avant. Nous sommes vite devenus de bons amis. Il riait toujours de me voir monter dans son autobus, j’étais très petite et je ne dépassais pas la hauteur des sièges. Il faisait mine de ne pas me voir et m’appelait, il était très gentil.

Une bonne fois, je suis montée dans l’autobus et comme il y avait quelqu’un à ma place habituelle, je suis allée un peu plus en arrière et je m’y suis endormie. C’était l’automne et il faisait noir de bonne heure. Arrivé dans le garage, le chauffeur a regardé pour voir si quelqu’un n’avait rien oublié. Il ne m’a pas vue, il a refermé la porte et toutes les lumières et est parti.

Habituellement, j’arrivais à heures fixes et mes parents ont attendu quelques minutes avant d’appeler le chauffeur. Cela faisait près d’une heure qu’ils le cherchaient quand ils l’ont enfin rejoint. Il se rappelait m’avoir fait monter, mais ne se souvenait pas m’avoir vue redescendre. Il est revenu en vitesse dans le garage pour me trouver en train de me réveiller dans la noirceur. Il a bien ri et m’a assuré que jamais plus personne ne prendrait ma place. Non, je ne l’avais pas fait exprès bon…

À cette époque, personne n’aurait fait de mal à un enfant même seul sur la rue le soir. Il y avait toujours un bon samaritain pour apporter son aide et si un tel cas s’était produit, il aurait fait des recherches et ramené l’enfant à ses parents. Peut-être que dans une grande ville, c’était différent, mais dans une petite ville comme Dolbeau, aucun problème.

Est-ce que tu aimais vivre à Dolbeau ?

Oui, mes parents y ont demeuré près de trois ans, et je crois que ça compte dans mes meilleures années. J’avais enfin une vie plus stable et durant les vacances et les fins de semaine, j’étais avec mes parents. J’étais très choyée par le personnel et les clients du restaurant. J’étais très à l’aise dans ce nouveau domaine et je faisais vite connaissance avec tout le monde. Je pouvais aussi aller faire des visites de quelques jours chez mes cousins et cousines.

C’était dans le temps de Shirley Temple, une petite actrice américaine qui faisait sensation dans les cinémas. Moi, je ne sais pas comment d’ailleurs j’en avais entendu parler. À l’occasion, des clients du restaurant me demandaient de danser. Je ne me faisais pas prier très longtemps. Je montais alors sur le comptoir du restaurant et je dansais à claquettes (pas de claquettes) comme elle. Dans les films elle avait à peu près mon âge. Je n’étais jamais gênée et je m’amusais beaucoup.

J’étais pratiquement toujours avec des adultes et j’aimais bien cela. Vous savez que j’ai toujours aimé attirer l’attention… Je ne pouvais espérer un meilleur cadre, j’étais comblée.

Le seul ennui, c’est que nous ne pouvions plus aller passer quelques semaines au Nouveau-Brunswick comme nous le faisions habituellement au début de juillet. Durant deux ans et demi, tout semblait se dérouler normalement, mes parents avaient toujours leur restaurant à Dolbeau, et moi, je menais mon petit bonhomme de chemin au couvent de Normandin.

Ici ce sont mes parents posés à l’arrière-boutique du restaurant. Il y avait aussi un centre de bowling et un cinéma juste à côté de notre restaurant. J’adorais assister au vus qu’on présentait avec mes parents. La censure était tellement sévère que c’était à peu près des films pour tous.

C’est d’ailleurs là que j’ai pu visionner les talents de Shirley Temple qui, très petite, était devenue une grande artiste.

Tout était sans histoire, j’étais comblée et heureuse. J’étais près de mes parents et j’avais de bons résultats scolaires.

Que demander de plus quand on a neuf ans et demi !

Qu’est-il arrivé pour que ça change ? 

J’imagine que mon père n’était pas à sa place dans ce restaurant. Il était plus souvent en arrière dans une petite pièce adjacente que parmi ses employés.

Il était habitué à faire des choses non répétitives. Ce qui lui apportait des défis plus stimulants. C’est plutôt ma mère qui s’activait à maintenir l’ordre auprès de l’équipe et dirigeait vraiment les opérations.

Qu’est-il arrivé exactement, je n’en sais rien… Mais je crois que le travail dans le bois manquait à mon père. Ainsi, lorsqu’un grand patron de la compagnie forestière est venu lui proposer un poste de surintendant dans le domaine qu’il aimait, il a accepté avec empressement. Ce nouveau travail allait apporter beaucoup de changements importants dans nos vies à tous.

Il retournait donc dans les chantiers ?

Non, la transition était bien plus importante que cela. Elle impliquait en plus un déménagement à plusieurs kilomètres de Normandin ou de Dolbeau. Et cela, pour l’année entière.

La première chose que j’ai sue, c’est que le restaurant était vendu. Ma mère est allée habiter pour quelques mois chez sa sœur Bella pendant que mon père était allé préparer notre venue à St-Alexis des Monts. Moi, j’étais toujours dans mon pensionnat. En attendant dans l’insécurité.

Qu’est- ce que tu as fait ?

Il n’y avait pas grand-chose à faire dans ces cas-là, juste attendre les événements. De toute façon, pourvu que je puisse suivre mes parents, cela m’était bien égal. Bien entendu, j’étais bien déçue qu’ils aient vendu le restaurant, mais je me disais qu’autre chose arriverait et qu’il fallait attendre avant de s’en faire. C’était une situation que l’inquiétude ne changerait pas.

Est-ce que ça s’est passé comme prévu ?

Non pas tout à fait. Mon père est revenu chercher ma mère vers le temps des fêtes… mais pas moi. Ils jugeaient que c’était mieux pour moi que je termine mon année scolaire pensionnaire tout en allant chez ma tante Irma les fins de semaine.

Je ne vous cache pas que j’ai trouvé cela difficile.

Mes parents sont repartis au début de janvier en train. Je me demandais quand je les reverrais. J’avais goûté à une vie un peu plus ordonnée avec mes parents et je me retrouvais, après trois ans et demi, au point de départ. J’avais près de 10 ans.

Comment as-tu vécu cela ?

Difficilement comme je vous disais, j’essayais de m’intéresser à mes études, mais mes pensées étaient souvent parties dans la Mauricie. Je ne savais pas grand-chose de cet endroit où je devais aller vivre bientôt. Je comptais les jours.

J’espérais avoir des nouvelles régulièrement, mais non, c’est bien rarement que je recevais une courte lettre qui ne m’apprenait pas de nouveau, il me semble.

Peut-être que le fait de m’attendre à plus me faisait paraître les lettres plus courtes qu’elles ne l’étaient en réalité. Toujours est-il que les images qui me reviennent sont assez sombres. Jean-Marie n’avait pas perdu son âme de missionnaire en voulant faire de moi quelqu’un de jovial. Plus le temps passait, plus j’étais boudeuse. J’attendais avec impatience la fin de juin.

Un souvenir douloureux me revient, ma mère était arrivée à Normandin vers la mie juin et moi j’avais été punie au sujet d’une pratique de piano que je n’avais pas faite, j’étais tellement excitée de revoir ma mère après tous ces mois que je n’avais pas bien fait mes devoirs. Avec cette punition j’ai dû attendre au lendemain pour voir ma mère et en savoir un peu plus sur ma prochaine destination qui changerait ma vie. Ce n’était pas dramatique mais moi j’ai trouvé cela trop sévère, vue les circonstances.

Au Québec, est-ce qu’il y a plus de neige qu’ici en France ?

Mon doux je crois que ce n’est pas comparable pour ce que j’en ai appris aux nouvelles internationales quand je regarde ce que vous appelez tempête, ici, c’est courant et on n’en parle même pas.

Il me vient à l’idée une expérience que j’ai vécu au mois de mars 1971 et je pense que vous allez apprécier et que vos petites averses de neige ne vous feront plus peur.

C’est une tempête gigantesque qui s’abattait sur la toute la province du Québec et des environs. Plus d’un mètre de neige accompagné de vents violant s’était abattu en quelques heures seulement, ce qui a eu pour effet de bloques toutes circulations pendant quelques jours. Elle a été surnommée la ‘’ Tempête du siècle«  On pouvait se promener en skidoo, en raquette et en ski dans les rues de Montréal.

J’étais à ce moment-là, assistante gérante du Centre d’Opinion du Consommateur aux Galeries d’Anjou.  Nous faisions une étude de satisfaction sur un nouveau café et j’avais six jeunes intervieweuses qui devaient travailler jusqu’à 17 heures.

Au Québec, nous avons plusieurs Centres d’Achats qui regroupent tous de nombreux magasins, restaurants, bureaux et services multiples. Cela sur une très grande surface et peuvent offrir des services sur 2 ou 3 étages.

Ici le plan du Centre Les Galeries d’Anjou qui regroupe 144 magasins.

Vers 15 heures je voyais que l’ambiance du centre changeait, les gens semblaient inquiets et plusieurs se précipitaient au dehors et plusieurs revenaient l’air consterné. M’informant auprès de la sécurité, on m’apprit que les chemins commençaient à fermer et c’était déjà difficile de déneiger les autos vue les vents et la grande quantité de neige au sol.

Plusieurs parents étaient accompagnés de leurs enfants, d’autres les avaient faits garder pensant revenir bientôt, de plus le centre était bondé. La majorité des gens semblaient consternés. Aussitôt j’ai demandé à mes employées de quitter si elles étaient capables car il y avait quand même quelques autobus, venus en renfort, qui circulaient encore.

Naturellement tous voulaient partir et à 15 heures et demie nous savions que nous étions là pour quelques heures avant d’avoir du secours. Ce n’était pas comme aujourd’hui ou nous avons tous le portable à la main et les quelques téléphones publics étaient pris d’assaut. Disons que c’était assez difficile de communiquer avec les familles ou pour avoir de l’aide.

J’ai fermé le kiosque en laissant tout à l’intérieur en prévoyant revenir plus tard car j’imaginais que tout ce café pourrait être utile si nous restions prisonniers plusieurs heures, même toute la nuit. Notre bureau étant à l’étage je pouvais voir le Métropolitain bloqué.

Nous sommes descendues tôt dans la soirée et tous les bans étaient occupés, les bistrots et restaurants bondés, il y avait même des personnes au sol. Le théâtre avait ouvert ses portes et marchait en continue. Bien entendu que le café de l’étude serait bien apprécié et finalement nous avons passé une partie de la soirée à en servir à tous ceux qui se présentaient.

Je me souviens qu’à 4 heures du matin, au café dont malheureuse je ne me rappelle plus le nom, c’était très animé car le patron servait tout le monde avec ce qui lui restait de nourriture car il était resté ouvert depuis très tôt le samedi matin. C’était cordial, tout le monde se parlait car nous avions tous vécu quelque chose de spécial et c’était rassurant de voir que nous pourrions retourner chacun chez soi avec bien des choses à raconter.

C’est vers 5 heures du matin que nous avons pu quitter les Galeries, en 4×4, ma jeune amie et moi, avec l’aide de deux policiers qui étaient venus se reposer un peu à notre bureau à l’étage d’où nous pouvions voir un peu de vie sur le Métropolitain.

Je demeurais à ce moment-là entre la rue Sherbrooke et celle du tunnel, j’avais été en contact téléphonique avec mon mari Jean qui était bien inquiet de sa petite femme. Imaginez-vous qu’il m’avait pelleté un chemin entre notre logis et l’autoroute car même avec la police, impossible de sortir de la route. Ça devait représenter facilement 1/5 de miles. C’était tellement un geste d’amour car il a dû travailler très fort pour cette petite (trale) qui me permettait de me rendre beaucoup plus tôt dans le confort de mon foyer après ces 24 heures assez mouvementées.

Voici ce à quoi ressemblait la majorité des villes du Québec car la tempête a, comme vous pouvez voir, rendue toute circulation impraticable.

Cette tempête a été surnommée la Tempête du Siècle.

Heureusement que la neige n’est pas aussi abondante chaque fois car ça serait catastrophique. L’hiver commence quelques fois en octobre et finie fin mars ou avril. Heureusement les services de déneigements sont très efficaces et la majorité du temps on peut aller à peu près où en veux durant l’hiver.

Quelques fois il y a du verglas qui rend le déneigement beaucoup plus compliqué et les transports sont souvent perturbés sur les chaussées glissantes.

Cependant ça donne des paysages féériques.

Ce que je retiens de cet événement hors du commun, c’est la grande générosité dont les gens font preuve lors de telles tragédies. Il n’est pas rare de voir de parfaits étrangers aider au déneigement ou accompagner d’autres personnes qui sont dans le besoin. Il se crée toujours des liens qui nous font croire en la bonté du monde.