Chapitre 12

Fréquentations et mariage

Jean venait de perdre sa mère et il était très malheureux. Sa mère l’avait beaucoup gâté ainsi que son frère et ses sœurs. C’est toujours elle qui se levait la première tôt le matin pour chauffer le poêle à bois et préparer le déjeuner. Elle allait même jusqu’à préparer leur linge au pied de leur lit pour qu’ils n’aient pas à le chercher

Comme Jean demeurait seul après ce départ, Céline a décidé de retarder son entrée chez les religieuses; en fait, jusqu’à ce que Jean soit casé. Elle avait un poste d’enseignante qui l’attendait à St -Alexis. Tous les deux semblaient se satisfaire de cet arrangement

Les membres de la famille avait du mal à supporter ce départ qui était arrivé si brusquement. Il fallait désormais prendre des responsabilités auxquelles ils n’étaient pas habitués. Leur mère avait toujours été là pour eux.

Jean avait changé. Je le sentais moins patient et nous nous chicanions souvent. À la moindre étincelle, le ton montait et je n’étais pas non plus à prendre avec des pincettes.

Il avait apporté son tourne-disque chez nous et quand nous allions au salon, jamais seuls, nous écoutions de la musique. Il pouvait remettre le nouveau petit disque toute la soirée sans se demander si nous aussi nous appréciions autant que lui ce morceau de country.

Quand il partait fâcher après moi, il me disait que c’était fini mais laissait toujours ses disques à la maison. Quelques heures plus tard, quand il revenait, c’était moins gênant, il avait une bonne excuse. La chicane finissait toujours par une réconciliation.

Plus il était malheureux, plus il essayait de se rapprocher de moi. Quand nous avions quelques moments d’intimité, je trouvais qu’il avait les mains pas mal baladeuses, j’avais même pris la très mauvaise habitude de lui donner des gifles dans la figure.

Ne faites surtout pas cela. Quand j’y pense, cela n’avait aucun sens, mais la peur de faire un péché était devenue une obsession. Je réagissais de cette manière très peu recommandable pour le rappeler à l’ordre.

Nous étions encore très peu renseignés sur la sexualité. Après un baiser volé un peu plus long que les autres, cela était rare, je restais quelque temps bien songeuse, j’avais si peur d’être enceinte pour un seul baiser.

Ne souriez pas. Je suis très sérieuse quand je vous raconte cela. Nous étions tellement ignorants au sujet de la sexualité. On nous disait de faire attention mais nous ne savions pas à quoi.

Jean, quelques mois après le décès de sa mère est allé faire une retraite fermée chez des religieux, à Trois-Rivières. Il en a rapporté un livre qui parlait de tout ce qu’un adolescent devrait savoir.

Ma mère l’a un jour retrouvé dans ma chambre. Gros drame à la maison! Elle a même montré l’image d’une femme qui attend un enfant à mon père.

Le livre était très bien fait. On pouvait voir le fœtus dans sa progression. On le voyait à différentes étapes de sa formation. Eh bien, le livre a été jeté au feu. Moi, j’ai été punie pour plusieurs jours. Leurs peurs les rendaient sans bon jugement.

Est-ce que c’était un livre pornographique ?

Pas du tout, c’était un livre d’information. Je crois que ce qui était raconté, est expliqué en classe primaire de nos jours. Les enfants plus jeunes que vous en connaissent sûrement plus que ce que nous pouvions en savoir à l’aube de notre mariage.

Ce n’est pas en laissant des gens dans l’ignorance qu’on évite les catastrophes. Je trouve que ce manque de formation est aussi grave que de laisser quelqu’un conduire une automobile en ne lui apprenant rien des dangers qui l’attendent.

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous étions très frustrés tous les deux. Les disputes étaient fréquentes mais jamais longues. Jean faisait les premiers pas. Il ne m’en donnait pas le temps, et il faut dire que j’étais déjà très indépendante.

Vous êtes- vous enfin fiancés ?

Non, pas tout de suite. Pourtant moi, j’avais bien hâte de partir de la maison. Pour Noël, Jean m’avait fabriqué un beau coffre de cèdre pour mettre mon trousseau. Depuis longtemps déjà, j’achetais toutes sortes de petites choses qui me serviraient plus tard. J’étais bien contente d’avoir un endroit pour les entreposer.

Depuis les fêtes, mes parents avaient acheté une télévision. C’était tout nouveau et cela suscitait beaucoup d’intérêt. Seules quelques familles en possédaient une. Nous étions devenus tout à coup très populaires auprès des voisins et amis. Tous voulaient voir de quoi çà avait l’air.

Comme toutes choses nouvelles, les suppositions allaient bon train. Certains disaient que ce n’était pas bon pour la santé, que nous deviendrions aveugles… Chacun émettait toutes sortes de prédictions plus abracadabrantes les unes que les autres. Naturellement, seules les personnes qui ne pouvaient pas se procurer cette boîte parlante ou celles qui craignaient le progrès colportaient ces rumeurs. La nouveauté et l’ignorance font souvent peur et c’est encore comme cela aujourd’hui, malheureusement.

Pour avoir une réception valable, il fallait faire installer au dehors une tour assez haute pour pouvoir capter les ondes. Les résultats n’étaient pas toujours satisfaisants. Parfois, il y avait tellement de neige sur l’écran que nous devinions plus que nous voyions ce qui se passait vraiment.

Naturellement, c’était en noir et blanc.

Vers la fin d’avril, nous sommes allés mes parents et moi faire un tour au Lac-St- Jean, pour un mariage ou une sépulture, je ne me souviens plus au juste. Comme mes parents se préparaient à revenir chez nous, j’ai demandé la permission de rester en promenade encore une dizaine de jours, demande qu’ils aient finalement acceptée après fortes recommandations.

Où croyez-vous que je voulais aller ? Bien oui, chez Annette. J’avais des fourmis dans les jambes et j’avais hâte d’aller danser. Elle m’avait informée de toutes les soirées qui s’annonçaient et n’avait pas eu de difficultés à me convaincre de rester quelques jours.

Pour moi le fait de prendre le train toute seule pour retourner à Saint-Alexis ne m’inquiétait pas du tout. Je l’avais fait à plusieurs reprises.

La première fois, c’était au décès de ma grand-mère maternelle. J’avais juste douze ans et sans qu’elle le sache, j’étais allée retrouver ma mère. J’avais auparavant réussi à joindre mon père au téléphone dans le bois et je l’avais supplié de me laisser partir. Je lui mentionnais que ma mère serait bien seule pour revenir et qu’elle apprécierait certainement de la compagnie.

Je dois vous avouer que le fait de voyager toute seule m’apportait d’énormes satisfactions. Toutes les excuses étaient bonnes pour me permettre de m’évader un peu. J’avais soif de liberté.

Avec le recul je peux comprendre que des parents puissent être inquiets de leurs ados qui entrent dans la vie sans méfiance et en toute innocence.

Pour en revenir à mes sorties prévues avec Annette, tout s’est passé comme prévu. Elle avait averti un petit voisin qui me connaissait et qui était très heureux de me servir de cavalier.

J’étais assez sélective pour mes amis mais comme il était bien élevé et assez beau garçon, j’ai accepté avec empressement. J’aimais mieux avoir près de moi quelqu’un que je connaissais que de passer dans les bras de l’un ou de l’autre pour danser les sets carrés ou les autres danses.

Même si je m’amusais beaucoup à ces soirées, je n’aurais pas aimé vivre dans cette atmosphère tout le temps. Voir ces jeunes gens boire autant me déprimait. J’avais une aversion pour les gens en boisson et je m’en tenais loin, très loin.

Il était bien entendu avec Annette, que nous retournerions à la maison quand j’en exprimerais le désir. Je trouvais cela super de m’amuser bien innocemment pendant quelques jours au cours de mes visites. Mais je savais bien que ce mode de vie ne serait jamais le mien.

Les gens semblaient aller là pour s’étourdir et peut-être oublier leurs soucis pendant quelques heures. Ils avaient peut-être tout simplement plus le tour que moi de s’amuser

Il n’y avait pas d’échange verbal possible dans les salles, la musique étant tellement forte que nous ne pouvions pas avoir une conversation suivie. Plusieurs allaient dehors ou allaient finir les soirées dans les autos stationnées, moi, ce n’était pas ce que je recherchais non plus

Il ne me restait que trois jours de vacances. Mon billet était acheté et je me disais que je pourrais me reposer dans le train. Le voyage était très long, plus de douze heures avec les arrêts.

Un jour, alors que j’étais allé chercher le courrier pour tante Irma, je me suis arrêtée devant une vitrine où on exposait une robe de mariée.

Je suis entrée et comme la robe était à ma grandeur, je l’ai achetée avec l’argent que j’avais gagné avec mon petit commerce. Arrivée chez tante Irma, tante Bella était là avec une cousine. Bien sûr, elles se demandaient bien ce que j’avais bien pu acheter dans ce magasin de confection. Toute contente, j’ai sorti la fameuse robe.

Cris d’exclamations ! On m’a demandé quand donc j’allais me marier. J’ai répondu que je n’en savais rien mais que, lorsque je reviendrais, Jean se serait tellement ennuyé qu’il me demanderait sans aucun doute en mariage.

Autres exclamations et mines déconfites ! Toutes ces dames me prenaient pour une vraie folle ! Ça ne changeait pas beaucoup ! C’est souvent qu’elles avaient eu ce sentiment envers moi qui étais une petite garçonnière. Cette fois- là, elles avaient un peu raison.

Qu’est- ce que tu as fait, tu es allée la reporter ?

Pas du tout, je l’ai gardée. Je savais qu’elle servirait avant peu de temps. Ce n’était pas la plus belle robe qui existait, mais moi elle me plaisait. C’était le principal.

Mes tantes m’ont demandé de l’essayer devant elles. Pas de problème! Tout heureuse, j’ai défilé devant leurs yeux inquisiteurs. Elles ont essayé de me décourager en me disant que ce que je faisais ne se faisait pas, que si un jour j’étais sur le point de me marier, je serais bien mieux d’aller à la ville pour mes achats, que j’aurais bien plus de choix…

C’était peut-être un geste de bravade de ma part, mais je crois que c’était la première fois que j’achetais quelque chose pour moi, sans avoir à faire de compromis.

Avec ma mère, c’est rarement que j’obtenais ce que je ne voulais ni ce que j’aimais vraiment. Alors pour une fois, j’avais fait à ma tête, j’avais dix -huit ans et je l’avais gagnée.

Ma mère était pourtant une bonne couturière et elle avait beaucoup de goût. Elle me faisait presque tous mes vêtements. Je dois l’avouer, même si ce qu’elle confectionnait n’était pas toujours à mon idée, elle réussissait toujours à faire de belles choses.

Pour ce qui est de ma robe de mariée, mes tantes se sont bien vite aperçues que je ne changerais pas d’idée. Elles m’ont donc conseillée pour ce qui est des accessoires et du voile.

Elles étaient toutes les deux des personnes de goût et très habiles de leurs mains. Une savait où trouver exactement la dentelle pour le voile. La robe avait besoin d’un léger ajustement. Tout le monde s’est mis à la tâche et quelques heures plus tard, j’avais l’ensemble de mariée complet… mais pas de mari déclaré.

Quand ces souvenirs me reviennent aujourd’hui, je trouve cela bien drôle mais je ne regrette rien. J’étais assez sûre de moi. Mais comme à cette époque ce n’était pas fréquent de montrer autant confiance en soi, mon attitude dérangeait beaucoup.

Que s’est-il passé par la suite ? As-tu eu ta demande en mariage ?

Tout s’est passé comme prévu. Cela faisait quinze jours que j’étais partie et Jean s’était beaucoup ennuyé. Il m’avait écrit souvent mais n’avait pas toujours eu de réponse à toutes ses lettres. Vous savez en vacances, on n’a pas toujours le temps d’écrire …

Nous ne pensions pas que tu étais aussi cruelle !

Je ne crois pas que j’étais cruelle. Je savais que je reviendrais, mais c’est vrai que j’aurais pu écrire plus souvent mais … C’est fait, je ne peux rien y changer.

Il y avait aussi d’autres raisons pour lesquelles Jean et moi voulions nous marier.

Céline avait retardé son entrée au couvent, et comme pour nous il était évident que nous unirions nos destinées, nous ne voyions pas pour quelles autres raisons nous retarderions cette union. Ce mariage permettrait à Céline de faire ce qu’elle voudrait, sans avoir la sensation d’abandonner son frère.

Nous avions aussi très hâte d’être libres et de nous aimer comme nous le désirions.

Nous étions en mai. Si nous voulions nous marier cet été-là, il y avait beaucoup de choses à faire. Premièrement avoir la permission des parents puisque je n’étais pas majeure car dans ce temps-là c’était 21 ans.. Cela ne nous inquiétait pas trop, ils semblaient avoir leur voyage de me surveiller.

Comme nous le prévoyions, ils ont accepté tout de suite. La date du 30 juillet 1955 a été choisie. Mon père serait en vacances et c’est le moment qu’il préférait. Jean n’avait pas encore un emploi régulier. La date importait peu, pourvu que je dise oui.

J’ai fait venir un catalogue de bagues de fiançailles. Jean et moi en avons alors choisi une, elle n’était pas très dispendieuse mais nous pouvions nous permettre cette petite dépense.

Quelques jours plus tard, alors que notre commande était partie, j’ai reçu un autre catalogue. En le feuilletant, j’y ai trouvé une bague bien plus jolie que celle que j’avais commandée et un peu moins cher.

Quand j’en ai parlé à Jean, il n’a pas du tout apprécié que je change d’avis aussi inopinément. Surtout pour une bague de fiançailles! Je n’ai pas voulu en démordre je n’aimais plus la première, je voulais la seconde.

Il est parti très fâché ce soir-là pour aller faire ses vues. Le lendemain, lorsque j’ai su que j’avais un paquet dont je connaissais trop bien la provenance, je l’ai retourné à l’expéditeur.

Quand Jean est venu voir si j’étais revenue à de meilleures dispositions, je lui ai avoué que j’avais retourné la première bague et que si ça ne faisait pas son affaire, je ne me marierais pas, point à la ligne.

Eh bien, Wilda, tu n’étais pas commode !

Non, pas tellement, en effet. Toute ma vie j’avais fait ce que les autres voulaient que je fasse et je n’avais pas l’intention de faire analyser tous mes faits et gestes dans l’avenir. Je ne voulais pas en me mariant, perdre ma personnalité.

Contrairement à bien d’autres jeunes filles, je me suis mariée pour être libre et non pas pour me faire dicter ma conduite. Je jugeais donc que je ne devais pas porter toute ma vie une bague que je n’aimais pas beaucoup, je l’avais choisie en étant très raisonnable, hi hi selon moi !

Il me semble que ça coûtait $ 35.00, toute une fortune pour nous qui n’avions pas grand-chose. Dans ce temps- là, quand on se mariait, on le faisait pour toute la vie.

Qu’est-il arrivé par la suite ? Pourquoi dis-tu que contrairement aux autres tu te mariais pour être libre ?

Bien quand Jean a bien vu que je ne changerais pas d’avis, il est revenu me voir. Il m’a dit qu’il comprenait ce que je voulais. Je lui ai expliqué que ma ténacité n’avait rien à voir avec les fiançailles, mais avec mes principes.

Comme vous pouvez le voir, les choses se passaient bien différemment d’aujourd’hui. Probablement que si j’en avais eu la possibilité, je ne me serais pas mariée aussi jeune.

Même dans ce temps-là, c’était trop jeune pour décider de tout notre avenir. Il n’y avait pas de divorces comme aujourd’hui. Était-ce une chance? Je ne sais pas, mais avec le recul je pense en toute franchise que si cela avait été possible il n’y aurait pas autant de mariages de 40 ou 50 ans.

Jean et moi n’avions pas pour ainsi dire vécu de fréquentations satisfaisantes et avec le recul, nous n’étions pas prêts à engager toute notre vie pour de mauvaises raisons.

Tous les soirs de bonne veillée, c’est le terme qu’on employait pour parler des soirs où normalement les gens faisaient leur cour, Jean travaillait. Les soirs où il venait à la maison, nous étions tous ensemble dans le salon. Le fait de m’asseoir près de lui en lui tenant la main semblait bien suffisant pour mes chaperons.

Ma mère avait même la gentillesse de venir le reconduire jusque dans l’entrée, je rageais.

Quand j’utilise l’expression « fréquentations satisfaisantes », c’est à toute une liste d’attitudes que je pense : se connaître mieux, pouvoir se permettre des sorties à l’extérieur, aller visiter des lieux que nous ne connaissons pas, planifier une sortie au restaurant, en fait, pouvoir se parler vraiment, sans personne autour et aussi bien sur se donner quelques marques d’affection.

Aller danser ensemble comme les jeunes aiment tant le faire. Habituellement, une jeune fille qui se mariait, prenait le nom de l’époux et devenait Madame Untel. On aurait dit qu’elle devenait le pendant de monsieur. Elle n’avait plus de personnalité propre à elle.

Les hommes en général étaient assez machos. Au moment du mariage, ils devenaient les maîtres, l’autorité absolue. La femme qui se pliait à cette coutume perdait toute liberté et identité. Naturellement, moi je pensais exactement le contraire.

Cela ne devait pas être intéressant de se marier dans ces conditions ?

C’était une conception du mariage tel que je le voyais autour de moi. Peut-être n’était-ce pas aussi dramatique ? Mais moi, c’est ce que je pensais et je ne voulais surtout pas que ça m’arrive.

Je crois que j’ai une grande qualité, qui peut être aussi un défaut parfois. Quand il y a quelque chose qui ne marche pas, je vois la personne et je l’oblige à en parler.

Quand il y a un problème, il faut que je le règle le plus tôt possible. Si je ne peux parler avec la personne ou si elle refuse de m’entendre, je lui écris. Cela étant, je me sens bien, j’ai fait mon bout et si l’autre ne veut pas répondre, c’est son problème.

J’ai toujours cru qu’une bonne relation devait être fondée sur une bonne communication. Comment peut-on venir d’accord sur un sujet, si les parties n’ont pas la même vision des choses? C’est en s’expliquant qu’on peut se rajuster et en venir à un accord réciproque et être sur la même longueur d’onde.

Moi, et je le répète, je me mariais en grande partie pour acquérir une certaine liberté. Être libre pour moi ce n’était pas négatif, cela ne voulait pas dire sortir avec n’importe qui, n’importe quand, pour faire n’importe quoi.

Cela voulait dire être moi-même dans mes pensées et dans mes actions, avec mes bons et mes mauvais côtés. Je me disais que si nous prenions l’habitude de communiquer, que si nous avions du respect l’un pour l’autre, puisque nous nous aimions, nous pourrions passer au travers bien des difficultés.

Jean a eu sans doute des difficultés à me voir et à m’accepter ainsi. Je crois qu’il se faisait une tout autre idée du mariage.

Il aurait aimé avoir une petite femme qui l’attendrait bien sagement à la maison en lui préparant de petits plats. Elle lui préparerait aussi ses vêtements, comme sa mère le faisait tous les matins. Elle ne vivrait que dans l’attente de son retour du travail. Elle ne le contredirait jamais et ferait tout ce qu’il voudrait.

Une esclave quoi !

Nous avions tous les deux des modèles de couples qui vivaient de cette façon, mais nous n’avions pas la même perception des choses. Disons que j’avais peut-être un peu d’avance sur la façon de penser de la majorité des gens de ma génération.

Des ajustements difficiles ne manqueraient pas de nous atteindre l’un et l’autre dans l’avenir avec une vision si différente de notre façon de voir..

C’est conscient de toutes ces interrogations que malgré notre jeune âge, nous nous apprêtions à franchir la dernière étape qui nous unirait pour la vie, bien oui pour toute la vie !

Nous nous aimions et nous nous lancions dans cette grande aventure, le cœur confiant. Nous étions sûrs que toutes les expériences passées nous aideraient à vivre en harmonie dans le respect de nos différences.

La date avait été fixée au 30 juillet 1955 par mes parents car c’était habituellement le temps des vacances et pour nous c’était parfait aussi.

Une semaine avant le mariage nous sommes allées à Trois Rivières acheter ce qui me manquait. Une jupe, quelques blouses, une robe d’été, des sous-vêtements et un costume de voyage. Ma mère m’avait confectionné un ensemble de déshabillé. Il était très beau, elle était vraiment une bonne couturière. Cependant, on ne peut pas dire que j’avais été très exigeante pour mon habillement, juste le strict nécessaire.

Le costume de voyage que ma mère avait choisi, je le détestais. Je n’en voulais pas car il me vieillissait. J’avais l’air d’une femme de quarante ans. Et dans ce temps-là, les femmes de cet âge avaient l’air d’en avoir vingt de plus, alors…  J’avais vu un beau petit costume à mon goût, à la dernière mode et qui ne coûtait pas plus cher. Mais il tombait un peu droit aux hanches, il n’était pas ajusté, vous comprendrez que c’est pour cette raison que ma mère n’en voulait pas.

Pourquoi ?

Bien, elle pensait que les gens auraient pu croire que j’étais enceinte si je n’avais pas eu la taille bien cintrée. Pauvre d’elle, les gens qui passaient leur temps à porter des jugements ne se gênaient pas. Et ce n’est pas un petit costume qui les empêcherait de médire.

Il y avait une commère dans le village qui inscrivait toutes les dates des mariages dans un carnet. Elle faisait ensuite le décompte pour voir si un enfant naissait avant les neuf premiers mois du mariage. Ensuite, elle colportait la nouvelle.

Elle n’était pas très gentille!

Non, vous avez bien raison, elle faisait plus de mal que bien des amoureux. Mais elle allait à la messe tous les matins. Le reste du temps, elle faisait de la calomnie et de la médisance. Ce qui était absurde c’est qu’elle était, malgré tout, considérée comme une très bonne personne. Une réputation ne valait pas cher entre ses mains.

Trois jours avant le mariage, nous avons eu la permission d’aller tous les deux rencontrer un notaire pour signer nos papiers. C’était la première fois que nous partions seuls tous les deux en auto, sans chaperon, avec la bénédiction des parents. Papa nous avait même prêté son auto. Le temps avait été bien calculé et moins de deux heures plus tard, nous étions de retour.

As-tu fait un grand mariage ?

Oui, nous ne nous sommes occupés de rien, ce sont mes parents qui décidaient de tout, ils avaient invité toute la parenté du Lac-St-Jean et du Nouveau- Brunswick. Ils avaient aussi invité tous leurs amis et les patrons de mon père. Il y avait une centaine de personnes de mon côté au mariage. Nous étions comme invités à notre propre mariage et je n’avais aucune idée comment ça se passait ailleurs.

Le matin des noces Jean avait loué un veston blanc avec un pantalon noir que le vendeur devait lui livrer quelques heures avant le mariage mais en l’essayant ils virent une grosse tache dans le dos, alors impossible de se présenter ainsi au mariage.

 Le vendeur demeurait dans une paroisse voisine et se présentait dans tous les villages avoisinants avec plein de vêtements pour toutes les circonstances, on l’appelait le (pedleur) alors finalement il a trouvé dans son inventaire un veston qui allait très bien à Jean, heureusement !

Je l’ai trouvé bien beau, quand même. Je n’avais pas l’habitude de le voir aussi bien vêtu. Je crois que je ne l’avais jamais vu avec une chemise blanche et une cravate.

As-tu eu de beaux cadeaux ?

Les cadeaux que nous recevions dans ce temps-là n’étaient pas aussi dispendieux que ceux que les mariés reçoivent aujourd’hui. Comme nous n’avions pratiquement rien de neuf, tous les cadeaux reçus nous comblaient.

Jean garderait ce qu’il y avait dans « son loyer  » si ses sœurs n’en avaient pas besoin. Il n’y avait pas grand luxe dans ce que nous avions à notre disposition. Malgré tout, ce que nous avons reçu en argent nous a permis de faire un petit voyage de noces et de nous acheter un set de cuisine chromé qui était à la mode du temps.

Mes parents nous avaient offert un set de chambre qui était très apprécié.

Est-ce qu’il faisait beau le jour de ton mariage ?

Oui, très beau et très chaud, plus de 90 degrés F. La cérémonie du mariage était à dix heures. Nous devions nous rencontrer à la sacristie pour la confession. Quand Jean m’a vue arriver, il était bien content. Il m’a dit qu’il craignait tellement que je ne vienne pas. Pauvre lui, cela faisait tellement d’années qu’il m’attendait.

C’est le grand départ de la maison de mes parents.

Les photos ne sont pas très bonnes mais on peut quand même voir la belle robe de mariée de la rue principale de Normandin. Rire

Papa avec sa cigarette, je pense qu’il était fier de sa fille et heureux de l’avoir rendue jusque-là avec tous ses morceaux.


 

L’échange des anneaux, Jean, moi, mon père, Céline fille d’honneur et en arrière de moi, ma mère.

Après toutes ces années je reconnais toutes ces personnes qui sont venues soit du Lac St Jean, du Nouveau-Brunswick ou de Montréal et je voudrais leur dire merci elles m’ont toutes apporté quelque chose au cours de ma vie. La majorité n’est plus là mais je vois avec plaisir mon petit frère, quelques cousins et cousines mais je sais aussi qu’il en manque sur cette photo.

 

Les parents de Jean étant décédés c’est son oncle Bernardin et la sœur de sa mère tante Adrienne qui les représentaient. En haut à gauche sa sœur Pauline, son frère Louis et sa sœur Céline.

Bien entendu, ces noces ont coûté très cher à mes parents, pourtant, nous n’en demandions pas tant, mais j’étais quand même très contente de voir toute la parenté.

Gratitude à mes parents pour tout ce qu’ils ont fait pour moi.

Est-ce qu’il y a eu une réception après ?

Naturellement, nous sommes tous allés dans un très bel hôtel, Le St-Alex Lounge. C’était un gros hôtel entouré de sapins et de gros pins. Juste devant, il y avait un petit lac, avec les montagnes autour. C’était vraiment un bel endroit qui faisait honneur à la municipalité de St Alexis des Monts..

La réception a été très réussie. L’endroit était assez spacieux, et avec la chaleur qu’il faisait à l’extérieur, nous étions heureux de nous trouver dans une grande salle fraîche, entourés de gens heureux de se retrouver. La grande majorité des invités qui venaient de l’extérieur en étaient à leur premier voyage dans notre beau coin de pays.

Départ de l’église pour la cérémonie au St-Alex Lounge.

Nous entrions dans la grande salle du St Alex Lounge qui se tenait fraiche malgré la chaleur du dehors, je ne crois pas qu’aucun endroit bénéficiait de l’air climatisé à cette époque. C’était une grosse noce, mes parents étaient allés a presque toutes les cérémonies de la parenté et c’était à leur tour de recevoir tout ce beau monde et ils le faisaient avec fierté.

Une partie de la table d’honneur.

La journée du mariage s`est passée comme dans un rêve. Nous avons quitté la réception vers 15 heures pour partir en voyage. On avait malgré tout l’impression que tout ce monde n’était pas là pour nous, mais pour mes parents et c’est correct.

Avec mon beau costume, que je n’ai mis qu’une seule fois! Que de beaux souvenirs!

Et ton voyage de noces ?

Avec de l’argent que nous avions reçu en cadeau, nous avons loué l’auto d’un cousin de Jean. C’était une auto neuve et nous étions heureux comme des enfants à qui on fait enfin confiance. Du jour au lendemain, notre statut avait changé. Traités en enfants hier, nous étions projetés dans le monde des adultes sur le simple fait d’avoir signé quelques papiers.

Où êtes-vous allés en voyage ?

Devinez ! J’aurais aimé aller au Nouveau-Brunswick. Mais comme tous étaient venus au mariage, il n’y avait personne pour nous recevoir. De plus, comme nous n’avions l’auto que jusqu’au samedi, nous n’aurions pas eu assez de temps. Nous avons décidé d’aller au Lac-St-Jean, bien que nous en avions rencontré plusieurs au mariage, il en restait toujours et les autres auraient le temps de revenir. En fait, nous n’avions pas non plus assez d’argent pour aller plusieurs soirs à l’hôtel.

Pour Jean, la destination importait peu. Il n’avait pas eu l’occasion de visiter ni l’un ni l’autre. Je crois bien qu’au fond de lui-même, il était aussi content d’avoir une auto pour quelques jours que d’avoir une femme à ses côtés. Il me disait en blaguant que l’auto, il ne l’avait que pour quelques jours tandis que moi, il m’avait pour la vie, ça c’est bien lui !

Franc mais pas trop sentimental, en tout cas, hi hi.

Le premier soir, nous sommes allés coucher au Cap-de- la-Madeleine, petite ville un peu dépassé Trois Rivières. Nous étions en train de souper au restaurant du motel quand nous avons aperçu deux personnes qui demeuraient dans notre village.

Quand ils se sont mis à chuchoter après nous avoir aperçus, ils devaient penser que nous étions en fugue, nous avons joué le jeu. Nous avons fait semblant de nous cacher. Nous pensions à leur mine quand ils s’empresseraient de raconter notre escapade aux gens de notre village.

Comme il faisait très chaud, nous ne pouvions demeurer au motel. Nous avions le goût de prendre l’air et de marcher un peu. Il y a à cet endroit un centre de pèlerinage reconnu dans toute l’Amérique du Nord, le Sanctuaire de Notre-Dame-du-Cap. Nous nous y sommes rendus et avons demandé la grâce de vivre ensemble en harmonie et de toujours nous aimer.

Chaque année, depuis maintenant 1955, nous y retournons à la fin juillet pour demander toujours la même grâce.

Le sanctuaire Notre-Dame-du-Cap est un lieu de rassemblement spirituel situé au Cap-de-la-Madeleine, un secteur de Trois-Rivières au Québec. Dressé sur le bord du fleuve Saint-Laurent, il est dédié à la Vierge Marie et accueille chaque année plus de 500 000 pèlerins et visiteurs en provenance de tous horizons.

Le Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap, avec sa basilique, ses magnifiques vitraux, sa chapelle historique et ses paisibles jardins, offre des activités spirituelles, culturelles et touristiques. C’est toujours très achalandé mais c’est tellement agréable de visiter ces lieux qu’on dirait hors du commun.

Nous sommes partis très tôt le lendemain matin. Jean est un lève-tôt, moi, j’aurais dormi encore quelques heures. J’avais besoin de beaucoup de sommeil mais, il avait tellement le goût de conduire l’auto que là, c’était sa priorité.

Le paysage est très beau tout le long du St-Laurent en allant vers Québec. Nous étions bien, nous étions grisés par cette nouvelle liberté qui était pour nous une inconnue. Nous étions vraiment des enfants! Nos parents qui nous avaient tellement surveillés auraient été surpris de voir que le simple fait d’être ensemble et de faire enfin connaissance, nous suffisait, hi hi… pour l’instant.

Je crois que la liberté est un des sentiments qui m’est le plus précieux. Pour moi ça n’a pas de prix. J’ai dit à Jean, si tu veux que je demeure avec toi, il ne faudra jamais m’enlever ma liberté. Liberté de dire ce que je ressens, liberté de faire des choix, liberté d’être moi. De mon côté, je m’engageais à te respecter aussi….

C’était tout un contrat qui serait difficile de maintenir, nous en étions conscients, mais pour nous, avec l’amour tout était réalisable.

Le dimanche au soir, nous avons couché dans un motel tout près du pont de Québec. Nous n’étions pas habitués à prendre de la boisson. Au souper, puisque nous étions de jeunes mariés, on nous a offert un apéritif que nous avons dégusté avec plaisir. Mais je ne l’ai pas digéré. Probablement était-ce dû à la fatigue. J’ai été malade une bonne partie de la nuit. Le lendemain, je n’étais pas très forte quand nous sommes repartis pour la traversée du parc national.

Waw tu t’es soulée durant ton voyage de noces !

Bien non voyons juste trop fatiguée.

Nous avons décidé de coucher dans une auberge dans le milieu du parc. Nous étions en pleine forêt et il y avait un beau grand lac juste devant notre fenêtre. C’était très long de traverser le parc. Les chemins n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui et j’étais bien contente de pouvoir enfin me reposer.

Il y avait deux lits dans la chambre et j’ai demandé à Jean si ça le fâcherait si je couchais dans l’autre lit. Il m’a dit que c’était parfait, car lui non plus n’était pas habitué de dormir avec quelqu’un d’autre.

Vers quatre heures du matin, j’ai été réveillée par un orage électrique comme je n’en avais jamais vu. Les éclairs se reflétaient dans le lac et éclairaient notre chambre comme en plein jour. Le tonnerre faisait vibrer les vitres, c’était vraiment impressionnant.

J’étais bien contente de pouvoir me réfugier dans les bras de Jean qui ne s’est pas laissé prier pour me garder auprès de lui.

Ma tante Bella nous avait invités à séjourner chez elle, elle était toujours aussi accueillante. C’était chez elle qu’il y avait le plus de place et elle avait bien aimé Jean quand elle l’avait rencontré. Elle m’a dit en riant que j’avais enfin trouvé celui qui me mettrait à sa main, chère ma tante…

Les quelques jours durant lesquels nous avons séjourné-là ont passé très vite. Nous avons pris un après-midi pour aller aux bleuets, et le reste du temps, visiter la parenté où nous avons toujours été très bien accueillis.

En se rendant à Normandin nous avions visité le parc de St Félicien et en revenant St Joseph d’Alma.

Mon oncle Paul Émile, un autre frère de maman et ma tante Simone ont eu la gentillesse de réunir quelques cousins et cousines pour une petite soirée en notre honneur.

Cette photo est importante pour moi car elle regroupe quelques cousins et cousines qui ont fait une différence dans ma vie.  Je regrette la qualité de l’image n’est pas terrible, j’ai fait plusieurs essais avec différents logiciels mais vous savez il y a 65 ans les kodaks avaient besoin de mise à jour.

Nous sommes revenus à St-Alexis dans l’après-midi du samedi. Notre lune de miel était finie. Personne ne nous attendait, c’est comme si nous revenions de faire des commissions. Jean a ramené l’auto louée à son propriétaire, son trip était fini, il commençait le soir même à travailler au théâtre. Ce soir-là, je couchais pour la première fois dans un logement que je n’avais pas eu le loisir de préparer. Faire le lit et ramasser un peu. J’y entrais avec le sentiment que j’étais toujours une étrangère dans ce modeste loyer.

Quelques mois auparavant, ils avaient décidé de déménager dans un autre loyer mais la transaction ne s’était pas concrétisée. La majorité des boites n’étaient pas défaites et ils y en avait beaucoup dans les quelques petites pièces du petit logement à deux paliers, j’ai pensé que mes prochaines semaines seraient occupées.

Céline y habitait encore pour quelques jours et c’était difficile, elle voulait me laisser la place et se comportait comme une invitée, moi qui avais tout à apprendre. Elle est entrée au noviciat quelques semaines plus tard. J’avais l’impression de prendre la place de quelqu’un. J’étais un peu triste, ainsi commençait notre nouvelle vie de jeunes mariés.

J’entrais dans cette nouvelle réalité en sachant que ce ne serait pas toujours facile mais pendant des années je m’étais programmée afin de trouver le côté positif des choses c’était le temps de mettre toute cette belle philosophie en pratique. Mes jeunes correspondants avaient eu une version réduite du récit de mon mariage car ils m’avaient posé bien de questions à ce sujet. Comme j’ai dit déjà il n’y avait pas de photo mais ils étaient satisfaits que j’aie répondu à leurs interrogations.

Je viens de recevoir une photo qui normalement aurait due accompagner un chapitre précédent mais elle est tellement représentative de la famille de mon père que je l’inclus ici. Merci cousin Nelson pour cet envoi.

J’imagine que c’est lors du mariage de tante Irène et oncle Roland David.