Portraits de famille…
Tu pourrais, Wilda, nous parler de ton enfance ? Tu n’as pas toujours vécu dans les bois… Raconte-nous comment étaient tes parents, ta maison ?
Lorsque j’étais petite, comparativement à bien d’autres enfants, j’ai vécu une belle enfance. Je n’ai pas toujours vécu dans la forêt… Je demeurais dans une belle maison, j’avais ma propre chambre, ma mère me faisait de beaux vêtements, j’avais quelques jouets qui me venaient en grande partie de mes tantes du Nouveau-Brunswick. Mes parents m’en faisaient certainement mais je n’ai aucun souvenir de cela, la seule surprise que je n’oublierai jamais c’est mon petit Marquis dont je vous en parlerai plus tard.
Cependant, je m’ennuyais souvent et comme je n’avais que rarement la permission d’aller jouer avec des petites voisines, je me trouvais bien seule. Quand je pouvais aller chez mes oncles et tantes, je m’amusais beaucoup, car tout était nouveau pour moi dans le sens que c’était bien différent de la vie de chantier.
Quand j’étais à la maison, je passais des heures à découper des photos de petites filles dans le catalogue de Simpson Sears. Je leur faisais ensuite des vêtements en découpant dans le même catalogue. Pour les ajuster, je laissais plus de papier aux épaules et à la taille. Ensuite, je repliais le papier afin de faire tenir les vêtements sur la photo de la petite fille que j’avais au préalable collé sur un carton rigide.
Même si je ne savais pas encore lire je passais pas mal de temps à regarder les aventures de Philomène et les miquettes d6ans le journal que mon père achetait les fins de semaine.
Je lui racontais ce que je comprenais de l’histoire et je pense que j’avais l’imagination fertile, car quelques fois, j’en rajoutais. Je me couchais par terre dans le salon, le journal bien étendu devant moi et je passais beaucoup de temps à m’inventer des histoires avec les quelques images que je trouvais.
Vous savez, il n’y avait pas de télévision. Je n’avais pas de ces beaux jeux que vous retrouvez sur le marché aujourd’hui, je ne lisais pas non plus ces beaux volumes illustrés qui sont à profusion maintenant.
Nous devions nous servir de notre imagination bien plus que maintenant, nous n’étions pas aussi gâtés, mais nous trouvions quand même des choses intéressantes à faire.
Quand je pouvais mettre la main sur un livre illustré, soyez assurés que je le connaissais par cœur. Je dessinais aussi et quelques fois, gros luxe, j’avais un livre à colorier et des crayons de cire de différentes couleurs. Je les ménageais pour les moments difficiles.
Mes cousins et cousines m’enviaient d’avoir tout cela pour moi toute seule, mais moi je les trouvais tellement chanceux d’avoir des frères et sœurs pour jouer, pour se confier et même pour se chamailler à l’occasion.
J’avais une petite voisine qui avait plusieurs frères et sœurs et qui venait jouer avec moi à l’occasion. Elle repartait souvent avec des jouets, elle ne venait pas par amitié, mais bien parce qu’elle savait qu’elle aurait ce qu’elle voulait.
C’est triste d’être obligé d’acheter l’amitié, d’être obligé de donner pour avoir un peu de compagnies. Je la plaignais aussi, car elle n’avait pas autant que moi, sa famille était nombreuse et elle manquait de tout ce luxe que j’avais comparativement à elle. Mes petits amis, méfiez-vous de ces supposés amis qui profitent de vous. L’amitié est un très beau sentiment, il est générosité et ne demande rien en retour, si ce n’est que votre amitié sincère.
Tu as raison Wilda, nous allons faire plus attention !
Dans ce temps-là, les marques d’attention comme nous rencontrons régulièrement aujourd’hui, ne serait-ce que des parents embrassant leurs enfants, se faisaient très rarement. Il y avait beaucoup de gêne à montrer ses sentiments et ça se passait ainsi à peu près partout.
Ma mère s’occupait de moi et veillait à mon éducation. J’étais très intimidée par mon père et je le craignais beaucoup, pourtant il ne me frappait jamais. Mon père, je le vois comme un homme qui ne parlait pas beaucoup. Il semblait assez taciturne et se retirait souvent dans une petite pièce qu’il avait adoptée, et il jonglait.
Dans des soirées entre parents et amis, c’était un autre homme. Il était souvent le clou de la soirée. Il faisait des farces, était un bon raconteur d’histoires, il semblait avoir beaucoup d’humour, car les gens riaient de bon cœur.
On voyait souvent le poêle à bois, la bouilloire qu’on appelait »bombe » et qui se retrouvait en permanence dans les demeures, il était souvent dans toutes les pièces de la maison
Ma mère m’a raconté que lorsque j’étais bébé, j’avais été très malade. J’ai pleuré pendant six mois sans arrêt, le jour comme la nuit. Je crois qu’à ce moment-là, ça ne leur aurait rien fait de me perdre tant ils étaient fatigués de m’entendre.
Comme je vous l’ai dit, ma grand-mère s’était cassé la jambe et n’a pas pu venir aider maman comme elle l’aurait certainement fait lors de ma naissance. Mon père voulant aider m’avait donné à boire du lait pur et cela avait eu comme effet de me déranger l’estomac.
Le lait d’aujourd’hui est bien différent de celui de ce temps-là; sur le dessus de la bouteille, on pouvait retrouver quelques pouces de crème, donc c’était très riche, un peu trop pour un nourrisson.
Je me suis ensuite rétablie et je me suis développée normalement. Je marchais à neuf mois et demi et très vite j’ai commencé à fouiller partout.
Je regarde des photos anciennes et je vois que j’étais un beau bébé. Vers l’âge de deux ans et demi, une nuit, j’ai été très malade et le lendemain, j’avais l’œil gauche complètement croche, presque blanc. Cette photo a été prise quelques jours avant ce qu’on a diagnostiqué comme une paralysie partielle dont la cause demeura inconnue.
Aujourd’hui, si une telle chose survenait, aussitôt, il y aurait des analyses de faites afin de régler le problème. On me ferait une opération mineure qui réglerait ce strabisme et on tenterait de rétablir ma vision.
Les moyens cliniques n’étaient pas à la portée de tous les gens et au fond de notre campagne, les moyens étaient restreints. Mes parents devaient espérer que tout rentrerait dans l’ordre tout seul mais malheureusement, j’ai toujours gardé mon œil croche avec très peu de vision, juste un petit reflet.
Je me souviens qu’on s’est rendu quelques fois à Chicoutimi consulter un chiropraticien. À cette époque, ils n’avaient pas le droit de pratiquer et tout se faisait en cachette. Il a réussi à ramener un petit peu mon œil, mais ça m’aurait pris des traitements réguliers, mais c’était pratiquement impossible.
À l’âge de quatre ans, j’ai commencé à porter des lunettes afin de faire travailler mes deux yeux. Je me souviens que chaque jour, ma mère me faisait faire des exercices. On bouchait la vision de l’œil droit et avec un petit drapeau, je tentais de le suivre avec mon œil malade qui ne distinguait qu’une toute petite lueur.
Je n’y voyais presque rien et c’était très fatigant. Mes parents ont dû avoir beaucoup de peine de me voir ainsi, car pour des parents, tout ce qui fait du mal à leurs enfants les touche comme si ça leur arrivait à eux et quelquefois plus profondément.
Aujourd’hui, je porte toujours des verres correcteurs et mon strabisme ne paraît pratiquement plus, mais je n’ai jamais retrouvé la vision pour cet œil malade.
Encore une chose qui me rendait différente, car dans ce temps-là, les enfants portant des verres correcteurs étaient des exceptions. La religion catholique était omniprésente dans les familles du Québec et les messes du dimanche et des jours fériés étaient obligatoires. Il fallait une raison majeure pour ne pas y assister. Je crois cependant que beaucoup de gens allaient à la messe plus par obligation que par conviction. De plus, à l’époque, les offices étaient très très longs, enfin c’était mon opinion.
Quand nous n’étions pas dans les chantiers, mes parents m’amenaient souvent avec eux à la messe du dimanche. Naturellement, j’étais tannante, même si je trouvais cela beau, je n’aimais pas y aller. Je trouvais cela trop long et je ne me suis jamais bien sentie dans une église avec plein de gens qui souvent ont l’air de s’ennuyer. Je ne comprenais pas toujours ce marmottement que j’entendais, alors je ne cessais de me promener d’un bout à l’autre du banc.
Naturellement, j’accrochais le petit banc que l’on trouve devant les chaises pour s’agenouiller. Il tombait avec un bruit fracassant sur le plancher de bois franc : tout le monde se tournait pour me regarder avec des yeux remplis de reproches.
Quelquefois, quand ma mère me serrait un peu trop le bras, pour la mettre dans l’embarras et pour montrer que je n’étais pas d’accord avec les moyens employés, je partais à pleurer très fort. Je vous assure que dans une grande église, avec l’écho, toute la paroisse savait que la petite tannante des Johnson était présente. Vous vous doutez bien que le retour à la maison n’était jamais bien agréable…
L’église de Normandin était ce que j’avais vu de plus beau… Plusieurs, de la même génération, ignorent même qu’un tel bâtiment ait pu exister dans la région. Toutefois, au regard de notre histoire, elle aura été, le temps de son existence, le lieu de culte le plus impressionnant de la région.
Elle était très grand avec un ciel bleu nuit parsemé d’étoiles, c’était magnifique. Elle était immense, juchée sur le haut d’une colline, on pouvait la voir des milles à la ronde. Lors des offices religieux, elle était toujours bondée. Plusieurs années plus tard, soit en janvier 1974, elle a été détruite par le feu. Cela a dut être une très grande perte pour les habitants de Normandin et des environs.
Hi Hi , Wilda tu étais tannante toi aussi?
J’ai souvent été une vraie petite chipie. Bien oui comme tous les enfants, j’imagine.
Moi, j’aime aller à l’église quand tout est calme. Je ne suis pas alors dérangée par des gens qui parlent, toussent ou voyagent. J’aime m’agenouiller et parler à mon Dieu comme à un ami à qui on peut tout dire. Je le vois comme mon allié et il est toujours présent partout. Pour moi, l’endroit d’où on lui parle n’a pas tellement d’importance, comme il est infiniment bon, il ne faut pas le craindre, mais avoir foi en lui. Il nous fait confiance, à nous aussi de nous faire confiance.
Aujourd’hui, je n’aime pas plus qu’autrefois assister aux offices religieux avec plein de monde, comme vous voyez, à bien des égards, je n’ai pas beaucoup changé.
L’éducation des enfants
Comment les enfants vivaient -ils dans ces familles nombreuses? Étaient-ils choyés? Avaient-ils tous leur chambre?
Eh bien! mes amis, vous voulez tout savoir, je vais tenter de vous faire voir ma vision de petite fille de ce temps-là.
J’avais plusieurs oncles et tantes mais il y en avait deux que je visitais plus souvent, car elles demeuraient plus près; ma mère s’entendait bien avec elles et j’aimais bien m’amuser avec mes cousins qui étaient comme des frères pour moi. Chez ma tante Irma, je retrouvais mon oncle Edmond, mes cousins, Jean-Marie que je considérais comme mon frère, cinq ans plus âgés que moi, et Clément, quatre ans plus vieux que son frère. Mon oncle Edmond était très gentil et lorsque j’arrivais, il me prenait sur ses genoux et me berçait en me racontant des histoires qu’il inventait au fur et à mesure. Elles étaient toujours intéressantes. Je me sentais en sécurité avec lui et je me sentais surtout aimée, telle que j’étais.
C’était un patenteux. S’il avait eu la chance de faire des études, il aurait probablement fait un très bon ingénieur.
Il réussissait à faire avec mon petit chien Marquis tout ce qu’il voulait. Oncle Edmond ne parlait jamais fort et pourtant il était obéi. Il disait à Marquis de faire le mort et mon petit chien se couchait sur le dos. Il attendait alors qu’on formule une autre demande pour se relever.
J’avais choisi ce petit chien dans la famille d’une autre de mes tantes, ma tante Léontine qui demeurait un peu plus loin, mais dont je vous parlerai un peu plus loin.
Je devais avoir du flair, car sur une nichée de plusieurs chiots, j’avais choisi le plus beau et il était le seul à être resté petit par la suite. Je crois que c’est le plus beau cadeau de toute mon enfance.
Mon oncle Edmond était lui aussi différent, il avait décidé de ne pas suivre les gens dans le bois. Il s’était construit un petit atelier où il réparait toutes sortes de choses. Il était toujours à la maison, n’était jamais pressé et était toujours de bonne humeur. Ça en chicotait plusieurs car probablement que personne n’avait le courage et/ou la chance de faire ce qu’il aimait.
Ils n’étaient pas riches, mais je crois que mon oncle et ma tante formaient un couple heureux avec leurs deux garçons. Comme moi, oncle Edmond a eu beaucoup de peine quand mon petit chien s’est fait tuer sur le bord du trottoir. Apparemment que le monsieur qui conduisait le véhicule avait fait exprès de venir écraser mon petit Marquis qui était sur le trottoir. Il avait demandé plusieurs fois à ma mère pour l’acheter. Je nous revois encore tous les trois, en pleurs, assis les uns contre les autres sur les marches de la galerie.
Nous étions comme trois enfants inconsolables, car Jean Marie s’était joint à nous dans notre peine.
Vous vous doutez bien qu’avec mon oncle, j’avais bon caractère. Il pouvait me demander n’importe quel service. C’était toujours avec un beau sourire que je le lui rendais. Chaque enfant était respecté, et avec lui, on ne se sentait pas inférieur.
Je comprends aujourd’hui que pour moi, oncle Edmond a été probablement une des personnes les plus importantes de mon enfance. C’est par lui que j’ai eu l’impression d’avoir été réellement aimée.
J’aimais bien Jean Marie. Je le considérais un peu comme mon grand frère. Je le suivais chaque fois que j’en avais l’occasion malgré notre différence d’âge.
En arrière de la maison, il y avait le Cran, c’est le nom qu’on donnait à une montagne faite principalement de grosses pierres et d’arbres. Elle était pas mal grosse et assez haute. Pour partir de la maison et grimper jusqu’à son sommet, ça pouvait prendre quelques heures…hi hi…peut-être moins, mais à moi ça paraissait cela.
Mon oncle nous avait fait des skis avec des planches équarries, bien sablées et cirées. Le bout des skis était relevé. Il avait attaché dans le milieu, avec des rivets, des bandes de cuir qui avaient pour fonction de retenir la botte sur le ski. Une paire de bâtons complétait cet ensemble.
Nous n’avions pas comme vous, de beaux harnais, de beaux vêtements chauds et des bottes bien conçues pour protéger les pieds… Malgré tout, nous avions beaucoup de plaisir à partir en excursion.
Malgré cet accoutrement de fortune, j’accompagnais mon cousin et ses amis, tous plus vieux que moi. Soyez certains que je ne les retardais pas, s’ils descendaient dans des petits chemins tortueux, je fonçais moi aussi. Il y en a qui se sont cassé des membres, moi pas. C’était vraiment du sport, car vous vous imaginez bien qu’il n’y avait pas de remonte-pente… Le soir, ça dormait dans les maisons
C’était comme une deuxième famille pour moi, car quand mes parents allaient dans le bois après que j’ai commencé l’école au couvent de Normandin ou on avait à me faire garder, c’est là que j’allais.
Jean-Marie c’était comme un frère pour moi et il était très protecteur la plupart du temps quand il n’essayait pas de former mon caractère.
Chez tante Bella, je retrouvais quatre cousins et une petite cousine. Je me suis cependant plus amusée avec Gilles, Germain et Yvon car nous n’avions que quelques mois de différence.
C’était comme des frères pour moi. J’imagine qu’un enfant unique élevé sans contact avec d’autres enfants doit avoir plus de difficulté plus tard à s’adapter dans la société. De toutes façons pour moi j’étais toujours contente de les retrouver. Naturellement il n’y avait pas de garderie comme aujourd’hui mais il y avait toujours une charitable voisine qui acceptait d’en garder un ou deux avec sa trâlée comme elle disait.
Ma tante Bella était mariée avec le cousin germain de mon père, mon oncle Alphonse et les deux hommes étaient comme des frères, ce qui rapprochait encore plus les deux sœurs.
Nous la voyons ici à son mariage avec mon oncle Alphonse, cousin et meilleur ami de mon père. Ils venaient tous les deux de Maisonnette.
Ici ma mère et tante Bella, elles étaient très proches l’une de l’autre. De bien belles femmes des années 35.
Ici ce sont mes parents lors de leur mariage avec tante Alma et tante Allwilda, 13 avril 1936.
Chez ma tante Bella ça bougeait tout le temps, c’était une bonne vivante et elle ne laissait personne indifférent. C’est elle qui s’occupait en grande partie de l’entretien des stocks des chantiers de mon oncle et il me semble que la maison était toujours ouverte à la parenté de mon oncle qui venaient du Nouveau-Brunswick pour s’engager, ça lui faisait une grosse besogne.
J’y allais souvent, car ma mère et elle se complétaient, quand les hommes étaient dans les chantiers nous allions habiter chez elle mais moi je les trouvais bien différentes et je la craignais un peu. Elle était assez sévère avec ses enfants, elle avait été maitresse d’école et savait comment élever sa famille. Je ne me sentais pas très à l’aise avec elle, elle trouvait que ma mère était trop permissive avec moi. Pourtant elle aidait ma mère à me confectionner de beaux vêtements.
Ce qui la mettait en colère, c’était le fait que j’étais pas mal grimpeuse et fouilleuse. Il parait que j’aimais bien vider ses tiroirs. Elle aimait les bibelots et il y en avait à profusion, comment ne pas être intéressée.
J’étais casse-cou aussi. Ma mère me racontait que, très jeune, je me tenais debout sur ma tablette de chaise haute et que je dansais dessus et que rarement je me blessais; mais mon petit cousin s’était fait mal en tentant de faire comme moi, et ma tante trouvait que j’avais une mauvaise influence sur ses gars.
Elle supportait mal que ses fils ne soient pas aussi chanceux que moi. Pauvre Gilles, il s’était fait tellement mal en tombant, il avait six mois de plus que moi. Gilles et moi en 1937. Nous avions beaucoup de plaisir ensemble malgré tout ainsi qu’avec Germain qui suivait de près.
Une fois, ma tante était malade, elle attendait des jumeaux et ma mère était venue pour l’aider. Avec mes cousins, nous nous amusions dehors à nous balancer sur une planche posée sur un chevalet. Vous avez dû voir cela, on en retrouve dans les parcs.
À un moment donné, j’ai décidé je ne sais pour quelle raison, que j’en avais assez et j’ai débarqué sans prévenir et sans penser que je pouvais mettre mon petit cousin en péril, mon cher petit cousin lui a pris toute une débarque. Le pire dans tout cela, c’est le fait qu’à ce moment-là, la municipalité était en train de creuser pour les canalisations et mon petit cousin est tombé dans un grand trou de bouette.
Heureusement qu’il y avait des hommes qui étaient là à ce moment précis et qu’ils ont pu lui porter secours. J’ai eu tellement peur et je ne suis pas la seule, croyez-moi. Ce pauvre Gilles avait lui aussi eu droit au bain dans une grande cuvette, il avait de la boue dans les yeux, dans les oreilles partout en fait. Un accident bête comme malheureusement il en arrive tant.
Ma tante a pensé que je l’avais fait par exprès et elle était très fâchée après moi. Comme c’est triste de penser qu’un enfant de quatre ou cinq ans puisse avoir de si mauvaises intentions.
Jamais je n’aurais même pensé faire une chose pareille sciemment, mettre qui que ce soit en danger encore plus pour mon petit cousin heureusement que ce n’était pas toujours cette ambiance car habituellement elle était très dévouée et avait un cœur d’or toujours prête à rendre service.
Je me rends compte aujourd’hui que bien des choses nous arrivent et que souvent on se rappelle celles qui nous ont fait mal au cœur.
Beau souvenir avec maman.
Est-ce que les mères de famille avaient des servantes ?
Non pas dans le milieu dans lequel je demeurais. C’était tous des gens qui vivaient modestement et qui travaillaient fort pour faire vivre leurs familles. Il y avait bien sûr des jeunes gens qui étaient mis à contribution pour apporter un support aux travaux ménagers, sur la ferme ou engagés pour apporter un peu de sous.
Des adolescents étaient souvent retirés en bas âge de l’école malgré leurs désirs de s’instruire car les besoins étant trop grands à la maison avec une maman qui avait plusieurs jeunes enfants.
La vie quotidienne était difficile dans ce temps-là pour une mère de famille nombreuse. Il n’y avait pas toutes les installations électriques qui sont à notre disposition aujourd’hui. Il y avait des poêles à bois et encore dans certaines demeures, pour avoir de l’eau il y avait une pompe qu’on devait faire « boire » le matin pour la partir. Tout ce qui se faisait demandait des efforts.
Pour faire le lavage, il fallait faire chauffer l’eau qu’on transportait dans de grands seaux sur le poêle à bois. Pour ceux qui n’avaient pas encore toutes les commodités, électricité et eau courante, c’était très difficile.
Les lavages se faisaient à la main, en frottant très fort sur une planche à laver afin de déloger les taches les plus rebelles. Faire aussi bouillir le linge dans une grande marmite sur le poêle afin de détacher le linge souillé. Faire tremper le linge dans de l’eau avec du savon du pays. Tordre à tour de bras pour enlever le surplus d’eau et ensuite étendre le linge sur la corde pour le faire sécher. Par temps froid, quand on entrait le linge il était tout gelé comme du gros carton, tant c’était raide.
Il fallait trouver un endroit pour finir de le sécher et c’était très long. On retrouvait souvent dans les maisons, durant les mois d’hiver, de grandes cordes à linge qui traversaient toute la maison.
Ça apportait beaucoup d’humidité et les fenêtres étaient toutes embuées. Aujourd’hui on dit que c’est très mauvais pour la santé peut être que de ne pas savoir minimisait les maux.
Les gens travaillaient dur et avaient aussi besoin d’une grosse nourriture pour garder leurs forces. C’est la mère qui préparait les repas, et les hommes aidaient rarement dans la maison, ce n’était pas la mode.
Comme les familles étaient nombreuses, les filles surtout aidaient la mère dans ses tâches ménagères.
Les garçons aidaient à entrer le bois après l’avoir fendu avec une hache afin de le mettre en cartier pour en faciliter le chauffage.
Dans la majorité des cas, comme il n’y avait aucun confort moderne, l’entretien de la maison était difficile à faire. Toutes ces tâches étaient bien lourdes. On lavait les planchers avec de l’eau et de la lessive, c’était très fort et ça brûlait les mains, cela avait pour effet de nettoyer à fond et de désinfecter, ça donnait une belle couleur rousse aux planchers de bois. C’est cela qu’on employait aussi dans les chantiers.
Je trouvais qu’il y avait beaucoup de violence dans certaines demeures des environs. Les femmes en pâtissaient aussi. Il était courant de voir des enfants se faire malmener par un parent ou par un grand frère. On voyait aussi des maris rudoyer leur femme, souvent pour des raisons qui me semblaient futiles. Ce que je ne comprenais pas c’est que les gens des alentours semblaient trouver cela normal et ne faisaient rien pour faire cesser ces chicanes comme si le fait de brutaliser une épouse était normal.
Heureusement, je n’ai pas eu à subir cette violence physique, mais j’en ai été témoin très souvent mais pas dans ma famille. J’étais très émotive et j’étais toujours en état de choc quand j’en étais témoin. Je détestais la chicane et j’étais prête à toutes les concessions pour l’éviter.
Il y avait sans doute de très bons moments où régnait la paix dans ces familles, mais ce sont les souvenirs douloureux qui me viennent en mémoire. Il y avait sans doute beaucoup d’amour dans ces maisons mais les démonstrations de sentiment n’étaient pas courantes.
J’ai toujours cru que lorsqu’un enfant est traité avec respect et tendresse, il accepte plus facilement l’idée d’être éduqué. Je crois que c’est faire injure à son intelligence que de lui refuser des explications sous prétexte qu’il ne les comprendrait pas.
Certes, les enfants ont besoin d’encadrement et de lois, mais lorsque ces lois sont présentées consciencieusement, avec compréhension et tendresse, les enfants les comprennent très aisément. Ainsi une punition sans violence ou une réprimande justifiée sera facilement acceptée et aidera à trouver le droit chemin.
J’ai l’impression que la majorité des gens de ce temps croyait que la meilleure façon d’éduquer un enfant était l’autorité absolue. Personne n’imaginait que demander au lieu de commander permettrait d’obtenir de bien meilleurs résultats; l’autorité du père était sans équivoque et les soupers se faisaient souvent dans le silence.
Il faut aussi se mettre dans le contexte du temps. L’éducation que les parents avaient eue était sommaire et on ne connaissait pas plus. Tous faisaient pour le mieux, mais on ne peut donner ce qu’on n’a pas reçu.
Tu préfères autrefois ou aujourd’hui ?
Je dirais que de tout temps il y a eu de bonnes et il y a eu des mauvaises façons d’éduquer un enfant. Le plus dur c’est de trouver le juste milieu.
Élever un jeune enfant en lui interdisant de dire ce qu’il a à dire est aussi grave que de lui laisser dire n’importe quoi et sur n’importe quel ton.
Ne jamais lui permettre de s’exprimer est aussi grave que de laisser parler celui qui ne respecte aucune règle et fait et dit tout ce qu’il veut, je crois qu’il a besoin de balises.
Lui donner toujours des ordres d’une façon autoritaire est aussi dangereux que de le laisser tout faire sans jamais intervenir.
Enfin rabaisser toujours l’enfant de sorte que celui-ci se sente inférieur me paraît aussi nuisible que de lui laisser faire tous ses fantasmes en écrasant les plus faibles. Comme vous pouvez voir, les extrêmes ne sont jamais souhaitables et l’époque n’y change pas grand-chose. Si on souhaite que l’enfant ait confiance en lui, il faut lui inculquer cette confiance en le valorisant et en lui donnant l’exemple.
Wilda, nous allons bientôt partir en vacances. C’est Noël dans quelques jours. Tu nous racontes comment ça se passait dans ce temps-là ?
Aussi loin que je me rappelle, je n’ai pas beaucoup de souvenirs de mes Noëls d’enfant, excepté ceux passés dans les chantiers. Je ne comprends pas bien pourquoi. J’ai souvenance de choses beaucoup moins heureuses que cette belle fête. Peut-être est- ce dû au fait que j’étais la seule enfant. Mais je me pose encore des nombreuses questions sur ces oublis.
Mes premiers souvenirs remontent à mes premières années d’école. Je devais marcher un bon bout pour m’y rendre et je passais devant le bureau de poste. Comme j’avais des tantes qui demeuraient au Nouveau-Brunswick et que j’étais encore la seule enfant de toute la parenté de mon père, j’avais toujours de belles surprises pour Noël.
J’étais très curieuse. Sur le chemin du retour, je m’arrêtais sur les portiques des maisons et je déballais mes cadeaux qui arrivaient toujours quelques jours à l’avance. Je savais bien que ma mère m’aurait défendu de les ouvrir et elle aurait préféré les mettre sous l’arbre de Noël. Mais bon, ma curiosité était la plus forte.
Et elle ne s’arrêtait pas là.
Je fouillais partout dans la maison afin de voir s’il n’y avait pas d’autres surprises, et je ne vous cache pas qu’habituellement je réussissais à tout découvrir! Le jour de Noël, il n’y avait à peu près rien que je n’avais pas trouvé.
Je disais alors que je n’avais pas de surprise pour Noël! Comme vous le voyez, j’étais un peu beaucoup gâtée. Je peux vous dire que ce petit manège s’est déroulé ainsi pendant quelques années. Curieusement je n’ai aucun souvenir, à part ceux dans les chantiers, des périodes des fêtes et ça m’intrigue.
Mes petits cousins Gilles et Germain me trouvaient bien chanceuse et auraient bien aimé recevoir des cadeaux de cette façon, car eux aussi avaient de la parenté à Maisonnette. Quand on a 4 ou 5 ans, on ne comprend pas pourquoi les autres ont des choses et pas nous. Pour les parents, c’est aussi difficile d’expliquer qu’on ne peut pas faire tel ou tel achat. La vie est ainsi faite et il y aura toujours des écarts en toutes choses, malheureusement.
Il ne faut pourtant pas en vouloir à ceux qui semblent privilégiés, car ils ne sont pas toujours responsables de leur bonne fortune aussi bien que du contraire.
On ne choisit pas dans quel pays on naît, on ne choisit pas dans quelle famille on viendra au monde, sur quel continent nous passerons nos premières années, c’est pourquoi le racisme est si injuste.
Comment les enfants s’amusaient-ils? Allais-tu jouer au parc ?
Comme dans la plupart de maisons avoisinantes, il y avait de nombreux enfants, ils jouaient dehors ensemble quand la température le permettait. Nos jeux se déroulaient autour des maisons et quand la noirceur arrivait nous rentions tous à la maison.
On s’amusait avec des jeux de fortune. Les jeux d’équipe étaient populaires. On jouait à la tague. Ce jeu consistait à courir après quelqu’un et lui toucher, c’était alors à son tour de la donner à un autre enfant.
Il y avait la cachette, un était choisi pour chercher les autres. Il se bouchait les yeux et comptait jusqu’à 10 pour donner la chance aux autres de se cacher. Il y avait un point de ralliement et il s’agissait de revenir au but avant celui qui devait chercher; le dernier qui arrivait devait chercher les autres.
On s’amusait beaucoup à l’extérieur, à cette époque, c’était aussi bien mieux pour la santé. Souvent les plus vieux de la famille devaient passer la plupart de leur temps à aider dans la maison et n’avaient pas beaucoup de temps pour s’amuser.
Lorsqu’il ne faisait pas beau, les enfants se trouvaient des occupations, on jouait à la mère, à la maîtresse d’école, on chantait ou on racontait des histoires.
Quelques familles avaient la chance d’avoir un appareil de radio à batteries ou électrique, si ce service était installé, et le soir, après le chapelet en famille où toute la maisonnée était agenouillée, on écoutait avec beaucoup d’attention des radios savons, comme on appelait les émissions périodiques.
Je me souviens de Jeunesse Dorée, Madeleine et Pierre, Un homme et son péché, les Joyeux Troubadours qui eux passaient à l’heure du dîner, Nazaire et Barnabé et le hockey, le soir.
Il y avait des capsules que j’écoutais très attentivement… Le civisme est une foule de petites choses; un tel programme devrait toujours exister, car j’apprenais beaucoup de choses sur le savoir vivre en harmonie avec les autres.
Il était fréquent de voir une mère dans la trentaine avoir 7 ou 8 enfants qui se suivaient à quelque douze ou quatorze mois d’intervalle. Elle paraissait aussi vieille que bien des femmes de 50 ans d’aujourd’hui. Souvent ces mères perdaient patience et criaient beaucoup après les enfants, ce n’était pas méchant mais avec le peu de commodité, il était bien compréhensible de perdre patience, mais je crois que ça ne donnait pas le droit de frapper des enfants mais apparemment on reproduit ce qu’on a vécu et chacun faisait du mieux qu’il pouvait.
Les enfants allaient à l’école a pieds quel que soit la distance et le temps, pas question d’avoir un autobus qui nous prend à la porte comme vous, c’était vraiment une autre époque.
Il y avait beaucoup de cultivateurs aussi qui eux habitaient dans les rangs et où les enfants commençaient très jeunes à aider à la grange, à l’écurie et à la terre. Dans les rangs, les maisons étaient toutes éloignées les unes des autres.
La région du Lac-Saint-Jean est renommée pour ses bleuets qui sont très bons, gros et sucrés.
Quand c’était la saison, vers la mi-juillet et août, des familles complètes partaient faire une « run » de bleuets au même titre qu’on disait une « run » de chantier.
Tous ceux qui pouvaient marcher étaient mis à contribution pour la cueillette de ce super petit fruit qui apportait un revenu supplémentaire aux familles.
Même si c’était dur, car tous demeuraient dans un camp de fortune ou des tentes, avec plein de moustiques, mais malgré tout, je crois qu’ils en gardent aujourd’hui une certaine nostalgie, car c’était comme des vacances pour plusieurs.
Non il n’y avait pas de parc comme aujourd’hui. Même s’il y en avait eu, je ne vois pas qui aurait eu le temps ou le loisir d’y aller.
Chez moi, la vie était bien différente, la radio jouait tout le temps et nous pouvions écouter religieusement les émissions en toute tranquillité.
J’avais ma chambre pour moi toute seule, mais chez les voisins, il n’était pas rare que trois ou quatre enfants partagent la même chambre à deux ou trois par lit. Pourtant, je les trouvais chanceux d’avoir toujours quelqu’un à qui parler et des compagnons de jeu.
Heureusement que j’avais des tantes accueillantes et des petits cousins et cousines qui m’acceptaient dans leurs jeux, car je n’avais pas la permission d’aller jouer chez les voisins.
**Je me relis et je réalise que je brosse un portrait assez sombre de la façon dont je voyais la vie qui se déroulait à cette époque, pourtant tout est relatif. Il faut vraiment se reporter au contexte du temps.
Les sociétés créent des besoins, mais quand on ne connait pas ces besoins, ils ne nous manquent pas. Le fait de ne pas avoir de télévision, de laveuse à vaisselle, de Nintendo, de balayeuse, d’ordinateur, et je pourrais en nommer une grande quantité, n’avait aucune importance. Les gens se contentaient de ce qu’ils avaient et je crois que quand on pouvait avoir un nouveau service, que ce soit l’électricité ou l’eau courante, ces services étaient comme un cadeau du ciel et très apprécié.
En revanche, l’entraide, la fraternité et la générosité étaient présentes dans le cœur de ces gens d’une autre époque. Les gens s’amusaient sainement et avaient beaucoup de plaisir à se visiter pour rire, chanter et danser un petit rigodon.
Les enfants s’amusaient avec des jouets tout simples qu’ils se fabriquaient eux-mêmes, ou qui venaient de leurs parents ou leurs ainés. Les vêtements et les chaussures étaient passés d’un enfant à l’autre à quelques reprises.
Les plus vieux tentaient de transmettre leur savoir aux plus jeunes car souvent les parents n’avaient pas eu la possibilité de fréquenter l’école bien longtemps et n’auraient pas pu aider leurs enfants aux devoirs.
En général, les enfants n’avaient pas autant d’attentes qu’aujourd’hui, et ils se réjouissaient de la moindre petite attention. Plein de jouets ne remplace jamais l’affection et la compréhension des parents.
Je viens de recevoir cette photo de mon cousin Nelson
C’est mon père vers les années 36/38.
WAW
Mon père n’était pas très grand mais sur cet énorme étalon il semble encore plus petit.
Ce sont des chevaux comme cela qu’on se servait dans les chantiers et pour travailler dans les champs chez les cultivateurs. Ils ont été une main d’œuvre inestimable pour défricher le pays et aidé au transport.