Le projet prend une nouvelle orientation
Quelques jours avant Noël 1998, je reçus plusieurs vœux de la part de mes jeunes correspondants. Ils m’informaient qu’ils partaient en vacances et me disaient que nos petits rendez-vous des mardis et vendredis leur manqueraient et à moi aussi, j’en étais certaine. À cette date, j’avais travaillé sur six ou sept récits que je vous ai présentés en partie. Je passais beaucoup de temps à essayer de me remémorer ces temps lointains. C’était vraiment un gros retour en arrière, souvenirs auxquels je voulais être le plus fidèle possible.
Je m’étais présentée, j’avais parlé de ma petite enfance, de la mi-Carême, des bûcherons, de la vie dans un chantier et mon plus beau Noël. Physiquement, ces quelques semaines avaient été assez ardues.
J’avais beaucoup de difficulté à écrire, car je ne trouvais pas toujours les mots justes. J’apprenais en même temps à me servir d’un ordinateur, à faire des recherches sur Internet pour les GIF qui accompagnaient toujours les messages personnels de mes nouveaux amis, et à taper mes textes. J’avais aussi beaucoup de misère à me débrouiller avec Word et je ne réussissais pas toujours à faire ce que j’aurais aimé. Je voulais que ce soit le plus attrayant possible. Je mettais un papier à lettres et je changeais souvent de police. Je ne me doutais pas à ce moment-là que ça nous occasionnerait des problèmes plus tard, vous comprendrez pourquoi (;-))
Moi qui avais toujours fait très attention à mon français, je me retrouvais à chercher mes mots continuellement. Je ne savais pas non plus comment aller chercher un logiciel de correction car tout était nouveau pour moi.
Les textes que j’écrivais étaient repris très souvent et à chaque fois quelques lignes se rajoutaient. Les souvenirs aussi revenaient tout doucement. Il n’était pas rare de me lever au milieu de la nuit pour ajouter une précision qui me venait comme cela et qui apportait un autre point de vue ou qui aidait à une meilleure compréhension du texte. La façon de procéder était que j’envoyais à mes élèves un récit de quatre ou cinq pages. Ils en prenaient connaissance, me posaient des questions sur les points un peu obscurs ou me demandaient des explications plus détaillées.
Je reprenais alors le texte qui m’était retourné via Internet et je refaisais mes devoirs. Après y avoir travaillé plusieurs fois, car à chaque lecture, de nouveaux souvenirs refaisaient surface et venaient apporter des éléments nouveaux, rendant par le fait même les récits assez complets.
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Message de Denis, le professeur responsable du projet.
Provin, le 12 décembre 1998
Chère Wilda.
Voilà, je viens de retravailler sur ton texte ‘les bûcherons » en y incluant les questions que les élèves posent.
Et il m’est venu une idée fantastique. Non, il m’en est venu plusieurs.
D’abord, je continue à faire lire aux membres de mon » club Internet » les histoires de ta vie. Ils adorent.
Mais voilà. Tu es devenue si populaire, que mes autres élèves me disent » : Et nous ? Pourquoi elle ne nous écrit pas ? »
Voilà ce que je te propose, si tu en es d’accord.
Je trouve que les récits de ta vie sont merveilleux. Tu racontes et on est dans la forêt. On sent les odeurs. On entend les bruits. On aimerait même entendre (ou du moins lire) les paroles de ces bûcherons qui crient, sacrent, racontent et chantent dans leur langue si belle.
Avec mes grands élèves (14, 15, et 16 ans), nous commençons à travailler ton texte comme on travaille une œuvre de Molière. Nous allons essayer de voir comment tu réinventes ta vie, comment tu écris.
Alors, voilà ma première demande. Si tu nous disais, dans une sorte d’avant-propos, comment tu imagines et comment tu retrouves tes souvenirs. Pourquoi tu choisis ceux-là ? Ce serait formidable !
En même temps, nous serait-il possible, à partir de tes textes, de te demander des précisions? te demander d’autres détails ? En fait, on pourrait arriver à faire plusieurs livres de ta vie. Un pour les petits, un autre pour les plus grands.
Bien sûr, je ne peux rien t’imposer, mais ce serait si merveilleux.
La technique pourrait être assez simple. Les élèves pourraient te demander à partir de notes sur ton texte même, quelques ajouts.
Et après, on publierait le livre au collège avec un groupe d’élèves en difficultés qui sont en train de monter une petite imprimerie…
Je suis tout excité et tout heureux à l’idée de ce projet…
Mes élèves de 6° eux, mes tout- petits, 10 & 11 ans, veulent que tu leur écrives aussi. Ils m’ont dit » on lui fera de jolies lettres, on l’invitera, on lui racontera des histoires. «
Voilà chère Wilda.
Cette passion qu’ont mes élèves c’est presque un cadeau qu’ils nous font.
Je t’embrasse très fort. Je pense à toi.
Le rayon de soleil qui se lève sur Lille est pour toi.
Mon chat, Toupie, ronronne. À très bientôt. Denis Fabé
Montréal, le 13 décembre
Bonjour Denis,
Comme je suis contente d’avoir de tes nouvelles ainsi que de mes nouveaux petits amis. Je comprends mieux pourquoi il se passe tant de temps entre les communications.
Je me demandais quelle journée était la meilleure pour envoyer mes textes et tout.
Sois sans inquiétude, je n’abandonnerais pas mes petits copains, si tu savais toutes les démarches que j’ai faites pour avoir un ordinateur fiable.
Cette semaine je me désespérais, car de mon côté aussi, je n’étais pas disponible, c’est-à-dire que c’était encore mon ordinateur qui avait des ratés.
Depuis deux mois, si tu savais toutes les démarches que j’ai entreprises pour régler les problèmes afin de lire votre courrier, mais là, ça va, j’ai réussi à régler mes problèmes de boite à lettres. Je comprends que, pour toi aussi ça doit être très frustrant de ne pas avoir plus de temps à donner à tes élèves. Je te souhaite de pouvoir compter sur plus d’heures d’Internet. J’imagine aussi que les élèves doivent trouver cela difficile. Je les vois impatients de pouvoir répondre et d’imaginer toutes sortes de scénarios, ils sont très attachants. Naturellement j’accepte avec plaisir de convertir mes textes pour en faire un livre qui j’espère apportera quelque chose de positif. Je vais te parler un peu de moi.
J’ai toujours travaillé dans le public et de préférence dans des situations de relation d’aide. En 1990, alors que j’étais chef de service dans un centre hospitalier. J’ai eu le malheur d’attraper le virus de la fatigue chronique et de la fibromyalgie. J’étais à ce moment-là, responsable du service de bénévolat depuis 1979.
Cette maladie m’a laissée très souffrante, sans force et très diminuée physiquement. Les premières années, j’étais tout simplement hors du monde. Maintenant, je dois toujours négocier les quelques heures ou minutes selon les jours où je suis un peu plus fonctionnelle, car un rien me fatigue et je dois me reposer les trois quarts du temps.
Depuis lors je n’ai pu travailler et ce que j’ai trouvé le plus difficile, ça été de ne plus pouvoir apporter mon aide à personne; je suis consciente que par mon vécu, j’ai une certaine expérience de la vie et j’aimerais la partager.
Je rappelais souvent à mon Dieu que tout mon savoir ne servait à rien finalement.
Et vous êtes arrivés dans ma vie! Comme une bouée de sauvetage, quel beau cadeau de la vie.
Alors tu comprendras mieux, toi aussi, combien vous êtes très importants pour moi.
C’est aussi difficile pour moi d’écrire, car je ne sais plus quel mot employer, comment le dire et comment l’écrire. Certains jours, je ne me rappelle même pas le nom de mon chien.
Mon dictionnaire est constamment vérifié, mais il faut au départ que je sache le mot et ce n’est pas toujours le cas. Cependant, je trouve que depuis les quelques semaines que nous travaillons ensemble, je suis plus éveillée mentalement. Bien entendu, ce qui nous arrive est fantastique et je crois aussi que j’ai un rôle important à jouer auprès d’eux, ne serait-ce que de faire marcher leur imagination, apprendre à se confier, pouvoir apprivoiser une nouvelle technologie et être capable de communiquer avec autrui.
Une petite fille et un jeune garçon m’ont dit que je leur avais donné le goût de lire et d’écrire, n’est-ce pas merveilleux. N’hésite surtout pas à m’écrire de temps à autre et de me faire part de tes attentes. Je te souhaite une bonne fin de semaine.
Au plaisir, Wilda …………………………
NOTE : Vous comprendrez qu’ici les textes que je vous ai déjà envoyés dans les chapitres précédents sont le résultat de la dernière version employée au début de janvier…J’ai ajouté aussi plusieurs anecdotes relatant quelques parties de ma vie et j’ai aussi voulu rendre hommage à ma famille. J’espère que ça ne sera pas du coq à l’âne pour vous et que vous saurez vous retrouver dans tout cela. Ne soyez pas trop sévère car j’écris de mémoire et n’ai pas beaucoup de repères car à 83 ans les personnes qui auraient pu m’aider sont parties.
Montréal, le 21 décembre 1998.
Tel que demandé, je t’envoie le prologue du livre sous forme de questions et réponses, tu me dis ce que tu en penses…
Prologue proposé
Chère Wilda, pouvez-vous nous dire comment vous est venue l’idée de nous faire partager des épisodes de votre vie ?
D’abord, quand j’ai vu que vous m’aviez adoptée, que vous vouliez continuer de correspondre avec moi et que vous me posiez différentes questions sur nos coutumes, notre langue ainsi que différentes informations se rapportant à notre façon de vivre, j’ai pensé qu’en me racontant, je pourrais alors répondre à vos interrogations.
De plus, je voulais que ce récit vous apporte quelque chose sur le plan humain. Je sais, par expérience, qu’il est souvent plus facile de se confier à quelqu’un que nous ne connaissons pas. Ainsi peut-il aider de ses conseils dans différentes démarches personnelles. J’espérais que mes expériences pourraient probablement servir à des adolescents comme vous.
Personnellement, je trouve très formateur que des jeunes apprennent à écrire des lettres et à y répondre. C’est un exercice plus que grammatical à mon avis. Il force la créativité de l’individu tout en lui permettant de s’exprimer en toute sécurité et en toute liberté car ça se passe dans la tête et ça prend toute notre attention.
Je vais essayer de ne pas être trop directive. J’aimerais juste amener mes petits lecteurs à analyser quelques comportements dans certaines situations de la vie courante.
Les récits que je vous envoie sont tous véridiques et sont racontés à partir des souvenirs que j’en ai conservés. J’essaie de garder une chronologie afin qu’il soit plus facile pour vous de faire une relation entre chacun d’eux.
Tout en lisant mes récits, vous pourrez apprendre un peu de géographie, d’histoire de mon pays dans des temps anciens, vérifier la valeur de notre monnaie comparativement à la vôtre. Plusieurs petites anecdotes vous informeront comment j’analysais ce qui se passait autour de moi tout au long de ma vie depuis plus de soixante-dix ans.
Je veux que vous sachiez, cependant, que ce que je vous raconte n’est pas un traité pédagogique, c’est ma vision du monde qui m’entourait à des moments de ma vie et de l’interprétation que j’en faisais.
Je n’ai certes pas la prétention de me considérer comme un écrivain. J’essaie juste de vous intéresser à une autre culture, la mienne en l’occurrence. Je tenterai de faire cela le plus naturellement possible.
Ce que vous m’apportez aussi est très précieux. Vous êtes tous différents et aussi importants les uns que les autres. Si vous désirez continuer de cette façon, j’en serai très heureuse et je serai certainement là pour vous aussi longtemps que vous le voudrez. Le fait aussi d’apprendre différentes façons de travailler sur l’ordinateur est excellent pour vous et pour moi, car j’apprends en même temps que vous.
Naturellement, si vous désirez plus d’explications sur certains sujets, vous n’avez qu’à m’en faire part. Je vous enverrai donc le texte que vous étudierez et me poserez les questions qui vous sembleront pertinentes. J’essaierai de vous donner l’information, si c’est possible. Notre but est d’apprendre tout en s’amusant, n’est-il pas vrai ?
Alors, nous voilà partis pour faire ensemble un voyage qui, j’espère, nous apportera bien des satisfactions…
Provin, le 3 janvier 1999
Chère Wilda.
Dimanche matin, et je viens de lire ton prologue. Super! Je l’ai déjà intégré au texte du livre qui commence à prendre forme. Dès la rentrée, je le donne à mes grands élèves qui, sans doute, vont te poser encore quelques questions. En effet, nous commençons un long travail sur l’écriture autobiographique. Et le fait que tu écrives la tienne « en direct » est un superbe cadeau.
Nous pouvons ainsi la voir se construire. Nous pouvons aussi t’interroger, te questionner. La littérature est d’ordinaire si loin d’eux, si désincarnée, si peu humaine… Voilà que nous avons sous la main quelqu’un qui sait écrire, un écrivain (eh, oui…) qui nous offre son travail. Merveilleux…!
Bien sûr, ils vont sans doute te passer » des commandes ». À toi d’y répondre ou de refuser d’y répondre. Je sais que certains aimeraient que tu parles de ta famille. Ils ont adoré l’histoire de ton nom… Voilà comment je te propose de travailler. Je donne à mes élèves tes textes. S’ils ont une question à te poser, ou une demande de précision, ils insèreront une note de bas de page… Ainsi le livre se construira à plusieurs voix.
Sache tout de même que tu existes très fort pour moi, pour mes élèves, et aussi pour mes amis. Ils te connaissent tous… Je parle de toi comme d’une amie chère, ce qui est vrai, d’une dame au bout du monde… Séverine, avec qui je travaille à l’université, a lu tes lettres et surtout est passionnée par notre projet.
Une petite anecdote… Les hautes instances de l’éducation nationale se demandent ici comment utiliser le Net en classe de français. Lors d’une réunion avec les inspecteurs, nos supérieurs si hiérarchiques et si « respectés », un collègue a parlé de notre histoire d’écriture… Ils ont été surpris et intéressés… D’ici à ce que l’on nous passe commande d’un article… ; ce serait drôle non?
Bien. Sache encore une fois que je pense à toi très fort et que… tous les jours je vérifie ma boîte aux lettres… N’hésite pas à m’écrire, ne serait-ce que quelques mots. Denis
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À partir de cette date, j’ai repris tous les textes et les ai restructurés dans leur forme actuelle, sous forme de dialogue en les présentant sous différents thèmes. C’est de cette façon que vous avez lu les premiers chapitres. Les questions sont en italique
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Provin, le 6 janvier 1999.
Chère Wilda Je ne sais si tu imagines le bonheur que tes textes m’apportent. Tes lettres sont d’un enthousiasme tel, que même fatiguées après une dure journée à l’université, j’ai aussitôt envie de te répondre.
Je crois que ton idée est excellente. Il serait intéressant de mettre des petits titres pour clarifier la lecture. Mais tu es la seule maîtresse de ton écriture et je te fais confiance… À toi de faire comme tu le désires. Il y a une chose que j’aimerais garder, c’est cette idée présente dans tes premiers textes: la lettre. En fait, ton autobiographie a commencé comme un conte que l’on murmure à l’oreille d’un enfant, et j’aimerais qu’elle garde cet aspect. On pourrait par exemple, en tête de chaque chapitre faire comme si un enfant t’interrogeait (c’est ce qu’ils font à ton propos à toutes nos rencontres).
Exemple: » Dis-nous Wilda, si tu nous parlais de la vie en forêt ? »
où : » Dis Wilda, tu t’es déguisée déjà ? Tu aimes bien? » qui suivrait ton texte sur la mi-carême.
Bien sûr, je pourrais faire faire cela à mes élèves, mais je crains que pour mes petits la tâche ne soit trop complexe. Je vais essayer de demander cela à mes grands… mais ils ont d’autres projets sur ton texte.
Quant aux textes que mes élèves écrivent ou vont écrire, ils vont s’intégrer. Comment, je ne sais pas encore, sûrement en regard, peut-être comme un livre hommage.
Tout cela est à créer. Il est dommage que je ne voie ces élèves qu’une heure par semaine, car la demande de 4 heures et demie n’a malheureusement pas été acceptée.
Alors voilà… Tu as une tâche énorme à faire.
À toi de faire pour le mieux…
Il est vrai qu’un texte sur papier blanc est plus facile à « transformer » en livre… mais surtout, pour les courriels, ne change rien, mes élèves adorent tout… Ils gardent précieusement copie de tes lettres. La petite XX a même pleuré (de joie, d’émotion) quand elle a lu ton courriel. Elle m’a parlé de ses parents, de sa punition injuste, de tout ce qu’elle vivait. Tu l’as aidée vraiment… de l’autre bout de la terre.
Au fait, j’ai écrit au ministère de l’Éducation du Québec pour parler de notre projet. J’attends une réponse.
Je t’embrasse très fort.
Amitiés à ton époux… à tes enfants et petits-enfants.
Denis
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Provin, le 10 janvier 1999
Chère Wilda…
Ne t’inquiète pas… Je rentre dans une période de turbulences. Je travaille beaucoup à l’université.
J’anime quelques formations pour de jeunes collègues, je m’occupe de mémoires professionnels et je viens de recevoir 12 fois 15 pages à lire et à annoter. Dans mes moments de liberté, je dois faire des inspections de ces jeunes collègues pour à la fois les évaluer et les aider dans leur classe. Je suis tout le temps sur les routes.
Ce matin, dimanche, je te le promets, je travaillerai sur ton texte afin de lier les récits les uns aux autres. Je dois le donner mardi à nos gamins. Tu sais, j’ai même pris un de tes récits (celui sur ton oncle et ton petit chien) comme sujet de devoir pour mes grands. Tes textes deviennent de plus en plus vrais. J’entends par vrais, l’humanité qui ressort de ton récit. Je te vois petite fille, je te vois déjà rebelle; on sent tes amours et tes douleurs… Mes élèves ne s’y trompent pas.
Alors, cet après-midi, je vais reprendre tout ça. Coller les notes, ce n’est pas difficile, il suffit soit de changer les pronoms, soit de rajouter, dans le corps du récit, une question de ton lecteur. Mais à expliquer ainsi, ce n’est pas si simple. Surtout, ménage-toi… N’en fais pas trop… Ne te fatigue pas.
Je suis heureux de te connaître… Au fait, il faudra que je te parle un peu aussi de moi, même si ma vie privée est actuellement mangée par le travail. À ce soir…
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Provin le 13 janvier 1999.
Ce matin, la neige a disparu; un beau ciel tout bleu la remplace. Non, nous ne sommes pas habitués à la neige. Ici l’hiver ressemble plus à un ciel de pluie, à un vent piquant… Je suis debout depuis 5 heures du matin et je travaille. Ce mois de janvier est terrible.
Beaucoup de choses se bousculent. Mais bon, moins de sommeil me permettra de tout faire. Tu sais, on aime tous tes lettres, ton histoire. Mes élèves d’ailleurs ont des tas de nouvelles questions à te poser… je te les donnerai ce soir ou demain.
Si je me souviens bien, ils veulent savoir quel genre d’élève tu étais, quelles étaient tes matières préférées, tes premières amours, tes copines… Ils ont adoré tes bêtises, les relations houleuses avec ta tante, ta générosité, l’épisode de Marquis.
Je brûle de te dire ce qu’ils ont prévu pour ton anniversaire. Mais bon… Je ne dois rien dévoiler. J’espère que notre « colis » partira mardi prochain et que tu le recevras pour ton anniversaire.
Mon chat Toupie dort dans son fauteuil. Ici tout est calme. Le soleil entre par ma fenêtre. Tout à l’heure je vais aller à l’université… Je dois y donner un cours. Heureusement tout est prêt.
Grosses bises à toi. Denis
Provin, le 8 février…. Message partiel.
J’ai animé une formation avec de tout nouveaux profs qui n’en peuvent plus. Ils commencent leur carrière dans la douleur la plus noire. J’ai dû essayer de les motiver. J’ai tenté de les reconstruire un peu, de leur donner des outils pour penser leur métier. Je crois que pendant quelques heures, j’ai pu leur donner une image positive d’eux-mêmes. Mais jusqu’à quand? La fin tragique de ma collègue jette le doute et parfois le découragement. Pourquoi ce métier qui peut être si magnifique peut-il être aussi douloureux ?
Au collège les enfants étaient très énervés… Les vacances sont nécessaires. Ils vont se reposer.
Sais-tu qu’ils ne voulaient pas changer de module? Ils veulent continuer à t’écrire. Donc tu recevras leurs messages moins régulièrement, cependant, tu découvriras de nouveaux petits amis…
Continue à écrire. Pendant ces vacances, 15 jours, je ne bouge pas. J’aurai le temps de retravailler tes derniers textes et de les « coller ». Continue ton récit. D’ailleurs je dois faire une communication auprès de mes supérieurs pédagogiques au sujet du travail que l’on mène. Personne ne sait très bien comment se servir d’Internet… Je dois leur expliquer ce qu’on fait ensemble.
Bises Denis
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Montréal, le 8 février,
Je venais juste de recevoir de la part des élèves, un énorme colis contenant une quarantaine de cartes, lettres et photos pour mon anniversaire du 21 janvier, toute cette communication accompagnée d’un beau gros toutou blanc qui devait me consoler de la perte de mon petit chien survenue dans ma tendre enfance.
Message à mes tout-petits… Enfin, c’est arrivé !
Quelle belle surprise ! J’en ai pour des heures à vous lire et à mieux vous connaître.
Sous les yeux de Marquis 2 qui me rappellera continuellement que vous êtes là.
Merci infiniment ! Je n’ai jamais eu de vraie fête avec autant d’attentions.
Je n’ai rien lu encore,
J’avais trop hâte de vous remercier et de vous rassurer.
Merci! Je vais me faire un beau cahier de références et vous y occuperez tous une place de choix.
Merci infiniment…
Ce beau colis m’est arrivé comme une bouffée de fraîcheur et de jeunesse.
Plusieurs avaient envoyé leur photo.
Je pouvais donc visualiser mes petits amis.
Naturellement, j’ai eu une semaine assez occupée à répondre à tous individuellement, cependant, plusieurs étaient malheureux, car ils changeaient de module et d’autres élèves prenaient leur place. La communication si bien engagée prenait un autre chemin avec d’autres qui eux aussi auront des choses à dire et des expériences à acquérir.
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La boite était pleine de surprises, photos, petits mots, textes que certains ont composés, histoire de ma vie transformée avec leur imagination débordante et multitude de cartes de souhaits fait mains et autres. Quels beaux messages d’amitié comme seuls les jeunes ados peuvent composer.
Voici mon cadeau, le petit chien blanc que mon Marquis 2 accompagne, l’histoire du petit Marquis de mon enfance vous sera dévoilée bientôt.
Provin, le 11 février.
Chère Wilda.
Je vais mieux. Je me suis défoncé sur le ménage, j’ai reçu mon meuble, mon appartement est impeccable.
Dehors, il neige et tout est magnifique.
Je croyais recevoir tes messages, pardon tes textes, ce matin. Or, je n’ai reçu que des « petites croix ».
Rien ne veut s’ouvrir.
Décidément on a beaucoup de mal avec ces photos…
Je crois qu’il va falloir trouver un autre système… je demanderai quelques tuyaux à mon collègue prof de technologie avec qui je dois travailler sur le site du collège.
Bon à part ça, n’hésite pas à m’envoyer tes textes. J’ai désormais le temps de les « coller ». Pour ce qui est des gamins qui ont quitté mon groupe, nous avons installé un système d’info.
Chaque semaine, j’afficherai le nom de ceux qui ont reçu un de tes messages, à eux de se débrouiller pour te répondre. Quant aux autres, tu vas les connaître… moi, je ne les connais pas encore. L’éducation française doit te paraître complexe non? Au fait, ton histoire doit continuer. Mon ancien groupe pourra te lire à la bibliothèque où je me suis engagé à déposer copie de tes récits. À eux d’aller lire « le feuilleton » de ta vie. Je crois qu’ils apprennent beaucoup.
Je t’embrasse. À ce soir sans doute.
J’aime cette correspondance qui s’installe entre nous, je la trouve riche, rassurante.
Transmets mes amitiés à ton époux et à ton fils.
Au fait, que pensent-ils de ton œuvre. J’espère qu’ils en mesurent toute l’importance. On ne connaît jamais la vie de ceux avec qui l’on vit. Ton texte est précieux, essentiel. J’imagine qu’il peut devenir un espace de dialogue que l’habitude a pu émousser.
Parle-moi donc de tout cela.
Ton prof « préféré ». Denis
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Lorsque Denis recevait mes textes toujours accompagnés de giff, il voyait à la place des petites croix rouge, j’avais eu un scanneur et j’apprenais tant bien que mal à m’en servir. Je ne me préoccupais pas du tout de la façon d’enregistrer soit en GIF ou JPG. Ça pouvait peser un MO pour moi c’était de l’inconnu…vous comprendrez que les résultats n’étaient pas toujours intéressants et ne se rendaient pas si c’était trop lourd, le maximum souhaité était de 100 ko; si on considère qu’il y a 1000 ko dans 1 mo.
Il y a aussi le fait que le web n’était pas tout à fait celui que nous connaissons aujourd’hui, la ligne téléphonique était le wifi d’aujourd’hui. Si nous étions sur Internet, pas question d’envoyer ou recevoir des messages téléphoniques, de plus c’était d’une lenteur exaspérante.
Il fallait vraiment avoir de goût d’apprendre de nouvelles techniques et d’apprivoiser l’Internet car ce n’était pas évident mais ce projet me stimulait car j’avais l’impression de pouvoir apporter quelque chose d’important à ces jeunes.
Aujourd’hui quand je me remémore toute cette histoire, je remercie la vie de m’avoir donné l’opportunité de vivre une pareille expérience.
J’avais entendu dire ‘’que l’oisiveté est la mère de tous les vices« ce qui veut dire pour moi qu’il est important d’avoir des choses à faire qui nous sortent de notre zone de confort et nous occupe l’esprit.
Ce projet que je faisais toute seule dans mon petit bureau occupait la majorité de mon temps et me faisait oublier que j’étais très limitée dans mon quotidien; ça devenait, par le fait même, la meilleure façon de vivre ma vie intelligemment et de manière positive.