Ce qu’Internet a fait pour moi – Chapitre 3

Profil d’un bûcheron.

Qu’est- ce que ça faisait au juste, un bûcheron ?

Les bûcherons étaient des hommes qui, avec le temps, avaient fait de la coupe du bois, leur métier. Au départ, ils n’étaient souvent que de jeunes garçons de douze ou treize ans qui, ayant abandonné leurs études, devaient gagner leur vie.

L’instruction, dans ce temps-là, n’était pas obligatoire jusqu’à 16 ans comme aujourd’hui. Un père qui ne croyait pas tellement aux vertus de l’instruction, parce que bien souvent il n’avait jamais mis les pieds dans une école, pouvait obliger son très jeune fils à le suivre pour gagner un peu d’argent. Les jeunes du temps n’avaient aucun droit, c’était l’autorité des parents qui décidait à leur place. Très souvent, l’argent gagné allait aux parents et plus souvent au père lui-même afin de subvenir aux besoins de la famille.

La vie dans les chantiers était très difficile. Quand le bûcheron s’engageait, c’était pour plusieurs mois. Les campements étaient toujours très éloignés. Ce n’est pas tant la distance que la difficulté de voyager dans la forêt qui faisait que, lorsqu’on partait, c’était pour faire la  »run  » de plusieurs mois.

Y avait-il d’autres métiers que la coupe du bois ? Explique-nous.

Parmi les différentes tâches exercées à l’intérieur du campement, on pouvait retrouver le grand patron, les contremaîtres, les mesureurs de bois, un vérificateur, un comptable ou l’équivalent, un responsable du magasin, un cuisinier et quelques aide-cuisiniers, quelques personnes qui faisaient la lessive et s’occupaient de l’entretien général, un forgeron pour ferrer les chevaux. Il y avait toujours un type sans diplôme qui s’y connaissait un peu en soins, il pouvait aussi bien soigner un homme qu’un cheval.

Dis-nous Wilda. Est-ce que tu te souviens d’eux ? Comment étaient-ils ?

Lorsque je les voyais au début de l’automne, ils avaient les cheveux courts, mais vers le temps des fêtes, ils se ressemblaient tous. Ils avaient les cheveux longs et une grande barbe qui, l’hiver, les faisaient ressembler au Père Noël. Lorsqu’ils revenaient du bois sur la fin d’une dure journée de travail, ils arboraient une barbe chargée de neige et de glaçons. Ils avaient les joues rouges et les traits figés comme dans de la glace.

On entendait à ce moment-là des bruits sourds de bottes que l’on frappe sur le bord de la porte afin d’enlever le surplus de neige et de glace accumulées. Des éclats de rire venant de ceux qui étaient déjà revenus les accueillaient. Ceux-là avaient été plus chanceux, leur lot de coupe de bois se situait plus près du campement, ou ils avaient eu la chance de travailler sur un terrain pas trop accidenté.

Y avait-il d’autres métiers dans ce campement ?

Il y avait aussi quelques jeunes hommes moins expérimentés ou qui n’avaient pas la santé pour exercer le dur métier de bûcheron. Ils s’occupaient de rentrer le bois et de faire toutes sortes de petits travaux. Souvent ils passaient leurs nuits à alimenter les feux de la cuisine, des dortoirs et des écuries.

Les soins de chevaux étaient affectés principalement aux bûcherons qui les employaient. Il y avait aussi des poules et quelques animaux. La majorité des victuailles étaient apportées en même temps que le matériel nécessaire au campement. Il y avait aussi les produits de la chasse de petits gibiers et la pêche. Je ne sais pas si c’était défendu comme aujourd’hui de pêcher à certains moments de l’année, mais je sais qu’on se régalait souvent de bonnes truites.

Bien entendu, les bûcherons formaient la grande majorité du personnel.

D’après toi, quel était le métier le plus apprécié ?

Je crois que le métier le plus apprécié, c’était le cuisinier et ses aides. Je me rappelle la grande table de la cuisine, elle pouvait facilement faire vingt à vingt-cinq pieds de longueur et était toujours chargée de dizaines de tartes de toutes sortes, de gâteaux et de pains frais. Ça sentait toujours très bon.

Le matin, très tôt, vers cinq heures, la cloche sonnait et on voyait arriver les hommes comme à la sortie d’une grosse usine. Ils venaient prendre le repas qui devait les soutenir pendant de nombreuses heures par grand froid d’hiver.

De quels aliments se nourrissaient-ils ? Est-ce qu’ils mangeaient beaucoup?

Oui, beaucoup en effet! Tout ce qu’un homme peut manger pour déjeuner dans ces camps, ce n’est pas croyable ! Un seul pouvait avaler une douzaine d’œufs, des fèves au lard, du lard salé, du bacon, plusieurs tranches de pain, du café, une tarte, des crêpes et tout ce qui peut se manger en supplément.

Son déjeuner avalé, le bûcheron se préparait à se rendre à l’endroit désigné dans la forêt pour couper du bois. Habituellement, ils partaient à deux, car, pour tenir la grosse égoïne, ils devaient se mettre, l’un d’un côté de l’arbre à scier et l’autre, en face de lui. On appelait cela un  »galandor ». Pousse, tire, pousse, tire jusqu’à ce que l’arbre tombe. Il fallait bien connaître son affaire pour ne pas se faire écraser par le poids de l’arbre.

Si les bûcherons n’étaient pas trop loin du campement, ils revenaient dîner, mais ils repartaient accompagnés d’un cheval. Ils allaient chercher les arbres qu’ils avaient coupés et équarris en enlevant les branches. Avec des chaînes, ils attachaient les arbres et les faisaient traîner par les chevaux jusqu’à l’endroit choisi pour la coupe en longueur de huit ou neuf pieds. Ensuite les arbres étaient cordés, mesurés et marqués au nom de code du bûcheron qui les avait coupés.

Les bûcherons étaient payés selon le nombre de cordes coupées. Alors ceux qui étaient les plus travaillants avaient la meilleure paye. Ils étaient payés à la toute fin de la  »run ». Si quelqu’un avait besoin d’argent avant, il demandait une avance au contremaître.

Les bûcherons avaient leurs propres outils souvent qu’ils avaient fait eux même ou par un homme d’expérience, naturellement il n’y avait rien d’électrique ou à batteries, c’était de l’huile de bras et de muscles.

Les chevaux jouaient un grand rôle dans les coupes de bois, ils faisaient équipe avec les bucherons pour la route, pour tirer les arbres, aider à transporter l’équipement et je crois qu’ils étaient bien traités.

Après une longue journée passée au grand air à travailler, aussitôt la noirceur venue, vers dix- sept heures, les hommes se retrouvaient dans une grande salle commune ou dans les dortoirs. Après une toilette sommaire qui se faisait dans des grands bols installés près d’un mur à la vue de tous, l’heure de souper était très attendue. Il y avait probablement un endroit un peu plus discret, mais moi je n’y allais pas quand les hommes faisaient leur toilette.

Au souper ça parlait fort, ça sacrait beaucoup, ça se faisait étriver et celui qui n’avait pas bon caractère était vite pris à partie. Il ne pouvait pas faire autrement que de se défâcher.

Les repas étaient très copieux. Toutes les pièces étaient éclairées à l’aide de fanaux à l’huile qui donnaient l’impression qu’on était dans un film d’horreur avec les ombres déformées par la flamme qui vacillait toujours.

Ensuite, les travailleurs se retrouvaient couchés, encore habillés, à discuter de choses et d’autres avec les autres. Certains jouaient aux cartes, d’autres racontaient des histoires. Il y avait une certaine camaraderie qui les animait.

Il y avait toujours un joueur d’harmonica ou d’un autre petit instrument de musique. Au début du temps au campement, les gens étaient joyeux, mais plus le temps avançait, plus certains devenaient grognons. Ils s’ennuyaient de leur famille qu’ils ne reverraient pas avant plusieurs mois et cela affectait beaucoup leur humeur.

Est-ce qu’ils avaient des vacances comme nous, aux fêtes ?

Non, la majorité demeurait au campement surtout ceux qui n’avaient pas de famille ou qui demeuraient trop loin de chez eux. D’autres restaient par choix, n’ayant pas d’attaches, préféraient demeurer aux camps considérant leurs compagnons comme faisant partie de leur famille.

Ceux qui le pouvaient ne craignaient pas de s’entasser dans le Snow-mobile pendant quelques heures. Ils pouvaient aussi se déplacer à l’aide de carrioles tirées par des chevaux, comme on en voit quelques fois sur des cartes de Noël… Il y avait aussi des braves et téméraires qui se risquaient et mettaient presque leur vie en danger en descendant par leurs propres moyens pour passer les fêtes dans leur famille.

C’était dans ce genre de motoneige qu’on se rendait dans les chantiers durant l’hiver.

Ils empruntaient des chemins qui n’en étaient pratiquement plus, à cause de la grande quantité de neige qui les recouvrait. Parfois personne n’en entendait parler par la suite.

Peut- être avaient-ils décidé que la vie de bois était au-dessus de leurs forces, peut- être ne s’étaient tout simplement pas rendus à destination.

D’autres revenaient après avoir dépensé toutes leurs payes qu’ils avaient si durement gagnées.

Y avait-il des temps plus difficiles pour ces gens ?

Les pires moments étaient le temps des fêtes. On sait tous que cette période est un moment particulièrement difficile pour ceux qui sont loin de chez eux. Ces hommes n’étaient pas différents des autres, mais ils ne voulaient pas montrer leur tristesse ni leur nostalgie. Ils auraient vu cela comme une faiblesse de leur part.

Toute leur vie, on leur disait :  » Un homme, ça ne pleure pas. C’est une histoire de femme que de montrer ses sentiments!  » Aussi, lorsqu’ils entendaient de la musique ou des chants qui leur rappelaient des souvenirs douloureux, ils aimaient mieux crier aux chanteurs ou à ceux qui leur rappelaient ces souvenirs de se taire.

Ainsi, ils passaient pour des durs. D’autres, beaucoup moins nombreux se laissaient aller à leurs souvenirs. Souvent, ils se dé rhumaient afin de donner le change sur ce moment de tendresse qu’ils voyaient plutôt comme un moment de faiblesse.

Ils étaient habituellement très orgueilleux et cachaient pratiquement tous leurs sentiments, comme si le fait d’avoir de bons sentiments et des émotions faisait de ces bonnes gens des hommes moins virils !

Alors, imaginez bien que le petit joueur d’harmonica ne devait pas être trop mélancolique, sinon il recevait quelques oreillers par la tête.

De plus, je ne sais pas comment ils s’y prenaient, mais ils réussissaient toujours à se faire une sorte de boisson alcoolique qui les rendait encore plus nostalgiques et coléreux, on appelait cela de la  »baboche ».

Vous rendez-vous compte du climat qui régnait dans un dortoir où dormaient une quarantaine d’hommes? Ils ronflaient, se lavaient de temps à autre, n’avaient pas beaucoup de linge de rechange et passaient des mois avec une hygiène élémentaire. Le matin, il fallait ouvrir les portes toutes grandes, même s’il faisait très froid.

Les vêtements étaient faits d’étoffe du pays, de laine rugueuse, ils n’étaient pas imperméabilisés. Il n’y avait pas à ce moment-là du tissu qui sèche vite.

Pratiquement tous les jours au retour du travail, les travaillants enlevaient leurs vêtements de travail et devaient tout étendre sur de grandes cordes à linge installées dans les pièces de séjour afin de faire sécher ce linge. Naturellement quand la température le permettait, c’était dehors, mais durant les gros mois d’hiver ça n’aurait pas eu le temps de sécher.

Naturellement, je ne devais pas entrer dans les dortoirs, mais parfois j’accompagnais le garçon qui apportait l’eau, mais je ne m’attardais pas.

Quand il y avait de grosses tempêtes de neige, les bûcherons pouvaient perdre plusieurs jours de travail. Comme ils ne pouvaient pas sortir du campement, il était très difficile de traverser ces temps morts.

Les bâtisses étaient construites de gros arbres équarris et entre les arbres on mettait de l’étoupe (grosse corde lainée huilée) pour couper le froid et le vent. Il n’était pas rare d’être plusieurs jours sans pouvoir voir dehors tant les vitres étaient gelées. Mais les gens étaient habitués à cet état de choses.

 

Tu pourrais nous raconter ce qu’ils disaient ?

Les gens de chantier avaient un langage très coloré. Disons que leur langue n’était pas très reluisante, si je peux m’exprimer ainsi. Certains sacraient tellement que dans une phrase on pouvait entendre autant de mots d’objets religieux que de mots pour définir leur pensée.

Les jeunes qui entendaient cela naturellement faisaient la même chose. Comme ils voulaient paraître des hommes, ils sacraient à leur tour. Je vous assure que c’est une habitude difficile à perdre plus tard. C’est comme un mot patois que l’on dit à tout bout de champ. Ici, par exemple, on dit le mot soda :  » je me suis fait mal en soda, j’étais en soda.  » Vous comprenez le principe? C’est probablement la raison pour laquelle mes parents n’appréciaient pas tellement que je côtoie les hommes.

Pour ceux qui demeuraient au camp, y avait-il des festivités de prévues pour eux durant les fêtes?

Il y avait toujours un prêtre qui faisait le tour de tous les gros campements de bûcherons, il voulait probablement sauver quelques âmes, mais il apportait aussi du réconfort à ceux qui désiraient se confier et peut-être se confesser.

Dans les plus gros campements, il arrivait habituellement pour célébrer la messe de minuit. Habituellement la célébration se déroulait dans la pièce la plus spacieuse, souvent à la cafétéria où un autel avait été préparé pour la circonstance.

Il n’y avait pas d’or ni de décorations dispendieuses, mais des branches de sapin dispersées un peu partout.

Souvent, une de mes poupées avait un rôle bien important à jouer, couché sur la paille fraîche. C’était vraiment spécial de voir ces hommes qui ne craignaient rien ni personne, qui sacraient à journée longue, se recueillir si dévotement.

Ils entonnaient, pas toujours à l’unisson, de leur voix enrouée par l’émotion, le Minuit Chrétien. Je crois qu’il n’y avait pas un lieu saint qui célébrait la naissance de l’Enfant Dieu dans une telle atmosphère de silence et de recueillement. Emportés par l’exemple, presque tous se confessaient et recevaient le sacrement de l’Eucharistie.

L’émotion était à couper le souffle : moi je crois que c’est cela une prière où tous sont en communion avec le Christ, en tout cas, c’est ce que je ressentais, mais que je ne pouvais pas expliquer dans mes mots à ce moment-là. Quelques fois on m’offrait un petit cadeau que certains avaient fabriqué de leurs mains. C’était le plus souvent fait en bois travaillé avec un couteau de poche et cela représentait soit un petit animal, une balle ou un lit pour ma poupée. Par ce geste, ils m’offraient ce qu’ils auraient tant aimé donner à leurs propres enfants ou à leurs petites sœurs.

Au réveillon, ça jasait fort et le caribou (alcool mélangé avec du vin) coulait à flots entre une histoire ou une chanson à répondre. La morale m’empêche de vous la dire.

Peut-être quand on sera plus grand ?

Peut-être…

J’ai pensé vous faire part de ces souvenirs de mon enfance et vous faire connaître le chemin qu’ont parcouru beaucoup de personnes qui ont travaillé très fort. Ils y ont souvent laissé leur santé afin d’apporter à une civilisation la matière première de tant de choses que nous utilisons encore aujourd’hui. Je me dis aussi qu’il ne faut jamais oublier de penser à la protection des arbres et des forêts.

Je vous raconte cela et je me demande comment il se fait que je sache toutes ces choses. Comme j’étais très curieuse, j’ai dû à un moment donné, me retrouver dans des lieux qui m’étaient défendus.

Ce cadre de l’artiste Duncan me fait penser au bucheron qui va s’occuper de son cheval. Il y avait aussi plusieurs animaux.