Changement
Au fait, tu nommes ton chapitre « changement », peux-tu nous en parler ?
Oui, bien sûr, j’y arrive. Nous étions au début de février, je venais d’avoir douze ans, je ne me souviens pas au juste comment il se faisait que je n’avais pas d’école cette journée- là, c’était peut-être un samedi.
Peut-être avais-tu une semaine de relâche comme nous durant l’hiver ?
Non, pas du tout, les semaines de relâche ou de neige ainsi que des journées pédagogiques, non jamais. Cela n’existait pas dans notre temps.
Bon, enfin, mes parents m’ont appris tout à coup qu’ils aimeraient aller visiter une crèche à Trois-Rivières. Ils avaient envie d’adopter un petit garçon plus tard. « Veux-tu nous accompagner ? »
Un peu surprise, mais très heureuse de cette décision, j’ai accompagné mes parents, la journée même à l’hôpital Sainte-Marie, pour cette visite que je n’oublierai jamais. Mes parents étaient allés au préalable, chercher une lettre de références auprès du curé de la paroisse. Ce passeport qui faisait mention des qualités de bons parents catholiques pratiquants pouvait ouvrir presque toutes les portes.
Au cours de l’avant-midi, nous avons rencontré la Mère supérieure. Ma mère surtout lui a expliqué le but de notre visite. Quelques minutes plus tard, nous étions tous devant une vitre qui donnait sur une salle à peu près grande comme une classe. Il y avait plusieurs salles comme celle-ci. Les enfants étaient classés par catégories d’âge. Comme mes parents avaient demandé un garçon de plus d’un an, nous nous sommes dirigés vers la salle qui leur était réservée. Nous longions un long corridor et l’on apercevait des salles toutes remplies d’enfants abandonnés.
Enfin, nous nous immobilisons devant la vitre de ceux qui répondaient aux critères de mes parents. Nous pouvions voir de vingt à vingt-cinq enfants qui commençaient à peine à marcher.
Contrairement à ce que nous pouvions penser, tout était silencieux. Pratiquement tous nous regardaient, les yeux grands ouverts. Probablement n’avaient-ils pas souvent l’occasion de voir de nouveaux visages.
Ils se demandaient peut-être, malgré leur jeune âge, qui aurait la chance de sortir de cette prison?
Nous étions très émus. Nous regardions ces petits êtres qui n’avaient pas demandé à venir au monde et qui n’avaient surtout pas demandé à vivre dans de telles conditions. Bien entendu, tous recevaient les soins de base, mais les religieuses n’avaient pas le temps de leur donner l’affection dont ils avaient besoin afin de se développer sainement.
Je crois que tous sentaient que ce moment était important. Sans nous consulter, mes parents et moi laissions aller notre regard de l’un à l’autre, avec attention.
Naturellement, on ignorait les petites filles. C’est vraiment un garçon que mes parents désiraient depuis toujours.
De toute façon, il y avait toujours moins de filles dans les salles. On nous avait informés que celles-ci étaient adoptées plus facilement. On nous avait dit aussi que plus l’enfant vieillissait, plus c’était difficile de lui trouver un foyer.
Il y en avait un tout au fond de la salle avec de beaux grands yeux bleus. Il semblait triste et nous regardait sans bouger. Il était très cerné et tout aussi pâle que les autres, mais son regard nous fascinait.
Sans nous consulter, nous regardions l’un et l’autre, mais notre regard revenait et se portait régulièrement au fond de la salle.
Je regardais mes parents et tout émue, je me suis rendu compte que nous regardions tous dans la même direction. D’un commun accord, nous avions jeté notre dévolu sur lui. Mes parents ont demandé à voir le bébé. La religieuse, toute contente de savoir qu’un de ses petits avait peut-être trouvé un foyer, est allée le chercher avec empressement.
Cela n’a pas pris de temps pour exprimer notre accord. Nous pensions que ça prendrait des mois avant qu’une chose aussi importante soit conclue. Mais la religieuse nous dit que si nous avions du linge pour lui, il n’y avait rien qui empêchait que nous le ramenions sur-le-champ.
Qu’est -ce que vous avez fait ?
Nous sommes partis au magasin pour aller acheter les vêtements dont ce bébé avait besoin. Il n’avait qu’une couche. Maintenant que nous avions vu son petit visage, il était impensable qu’il reste une nuit de plus loin de nous.
Au magasin, nous étions comme des enfants devant le Père Noël. Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu mes parents aussi heureux et enthousiastes. Ils avaient leur garçon et moi j’avais enfin un petit frère.
C’était aussi facile que ça d’adopter un enfant dans ton temps ?
Oui. Et quand je repense à cela aujourd’hui, je me demande combien d’enfants ont eu autant de chance que mon frère d’être choisit par des parents aimants.
Par la suite, il n’y a eu aucune enquête de faite et jamais personne ne s’est préoccupé de savoir si l’enfant était bien entouré. Je ne suis pas certaine que tous ont eu d’aussi bons parents adoptifs.
Qu’est- ce qui advenait de ceux qui n’étaient pas choisis ?
Il y en a beaucoup qui n’ont pas eu cette chance. Ils demeuraient là jusqu’à ce qu’ils soient transférés dans des jardins d’enfance, toujours tenus par des religieuses qui se dévouaient corps et âme pour que ces tout-petits vivent une vie à peu près normale. On appelait cela aussi un orphelinat et tous les centres étaient pleins.
Les enfants étaient élevés aux frais de l’État. Ils recevaient une éducation sommaire.
Ils restaient dans ces orphelinats jusqu’à ce qu’ils soient en âge de sortir et d’être capables de voir à eux-mêmes. La vie au-dehors, était très difficile pour eux.
Ils n’avaient pas appris à être autonomes. Ils n’avaient jamais eu à prendre de décisions graves. Ils avaient toujours été encadrés par l’autorité.
Ils n’avaient pas de références sur la façon de vivre libres dans une société.
Tous leurs besoins primaires avaient toujours été comblés par ceux qui en avaient la garde, très souvent des religieux et religieuses qui se dévouaient autant qu’ils pouvaient, mais ce n’était pas suffisant.
Il y avait trop d’enfants et probablement pas assez de personnel pour leur apporter toute l’attention nécessaire.
Plusieurs de ces enfants ne se développaient pas normalement. Privés de tendresse et d’affection, ceux-ci étaient alors placés dans des institutions qui accueillaient des personnes qui affichaient des déficiences intellectuelles.
Vous imaginez-vous comment les choses ont changé? La comparaison est un peu boiteuse, mais aujourd’hui, il est plus difficile d’adopter un petit chien à la SPCA que de partir, dans le temps, avec un jeune bébé sur la seule recommandation d’un curé de village.
Comment s’est déroulée l’arrivée de ton frère dans votre vie ?
Bien, disons que, les premiers temps c’était nouveau pour tout le monde et chacun devait s’adapter à cette nouvelle vie.Mes parents lui ont donné le nom de Stanley Junior, il était alors âgé d’un an et demi.
Pour lui aussi, tout était nouveau et je dois dire qu’il avait une facilité d’adaptation extraordinaire. Bien entendu, il n’avait jamais eu autant d’attention et de marques d’affection dans sa jeune vie, mais nous étions quand même des étrangers pour lui.
Je ne me souviens pas qu’il ait pleuré ou demandé quoi que ce soit. Ces bébés avaient déjà compris que pleurer ne servait à rien, dans une crèche en tout cas. Au bout de quelques jours, il semblait chez lui comme s’il y était né.
Moi qui avais toujours voulu un petit frère ou une petite sœur, j’étais comblée.
Le petit Stan dans toute sa splendeur.
Nous étions tellement excités de faire entrer ce petit trésor dans nos vies.
Comment s’est déroulé ce grand changement?
Les premiers mois se sont bien passés, mon petit frère était adorable. Quelques jours après son arrivée parmi nous il s’était adapté à cette nouvelle vie pour lui. Il ne pleurait jamais et acceptait toutes les marques d’attention avec joie et bien vite il était chez lui. Il n’était certes pas habitué à être aussi bien traité, il n’avait plus à dormir dans un dortoir entouré de plusieurs jeunes enfants.
Mes parents désiraient tellement avoir un garçon depuis longtemps qu’ils ne juraient que par mon frère et je trouvais cela difficile. Ils étaient pratiquement en adoration devant ses moindres gestes. Je les comprends aujourd’hui, on a qu’à mettre un enfant dans une pièce pour que tous les regards se dirigent vers lui.
J’avais vraiment pris mon petit frère en affection et j’essayais parfois de lui apprendre des choses mais c’était tout de suite mal interprété par mes parents. C’était un enfant très vivant qu’il fallait reprendre à l’occasion.
Si j’avais le malheur de le faire devant eux, comme toutes bonnes grandes sœurs le feraient, à l’occasion, c’est moi qui avais les reproches.
Ils craignaient qu’il ne les aime plus, comme si le fait de l’éduquer serait mal perçu par lui. Au contraire, c’est le rôle des parents de bien élever leur enfant en le reprenant à l’occasion. Heureusement que mon frère était un bon enfant même s’il était pas mal dissipé comme tous les enfants en bonne santé et heureux.
J’étais en pleine puberté et j’avais tellement besoin de me sentir encore aimée. Je me suis mis dans la tête que mes parents ne m’aimaient plus et ils ne faisaient rien pour que je pense autrement.
Les années passaient, j’étais très malheureuse et déçue qu’ils ne puissent nous aimer tous les deux en même temps. Il y avait aussi beaucoup de comparaisons qui n’étaient jamais à mon avantage naturellement.
Peut-être que je n’avais pas raison de penser cela mais, moi, c’est comme cela que je vivais ça. Quand on est adolescent on est en période de transformation et certains sont plus affectés que d’autres. Je me sentais invisible et de trop.
J’avais toujours été le nombril du monde et soudain, sans avertissement, du jour au lendemain, je me sentais pratiquement mise au rancart.
J’avais toujours cherché à faire plaisir à mes parents et pour moi, ils me laissaient tomber. Je vivais cela comme un rejet.
Probablement que ce n’était pas aussi dramatique et que j’amplifiais les choses, car même s’ils n’étaient pas très affectueux, ils n’auraient pas souhaité que je sois aussi malheureuse.
Comme j’avais un problème d’ordre affectif, je me suis repliée sur moi-même. Je passais la majorité du temps dans ma chambre lorsque j’étais à la maison. Je pleurais beaucoup en silence. Plus je me refermais, plus je broyais du noir et plus je m’apitoyais sur mon sort et plus j’étais mal dans ma peau.
On dit que le développement de l’enfant se fait les 5 premières années de sa vie, je me suis souvent demandé si mes premiers mois d’existence avaient eu un impact sur ce manque intérieur que je ressentais souvent et ce sentiment m’a suivi toute ma vie. Il me semble vous avoir dit que j’avais pleuré les six premiers mois et ma mère m’avait dit que c’était très pénible pour eux ils n’en pouvaient plus de m’entendre.
Pouvais-tu te confier à un travailleur social ou à un psychologue à l’école?
Non, rien de tel n’existait pour nous, cela m’aurait certainement aidée d’avoir des conseils d’experts mais… il n’y avait aucune aide possible de ce côté surtout dans un petit village.
Maintenant, vous avez l’opportunité de parler de vos préoccupations, profitez-en. Ne soyez pas gênés de consulter, ne restez pas avec des interrogations qui vous font du mal. Juste le fait de parler des choses qui vous préoccupent avec quelqu’un de compétent qui vous écoute et probablement vous fait voir un autre point de vue, vous aidera à vous en sortir plus facilement.
Quand on a un problème, plus on le retourne dans sa tête, plus il devient gros et nous empêche de voir les solutions. C’est comme faire rouler une balle de neige dans une neige mouillée. Plus on la tourne plus elle devient énorme et bientôt, elle nous dépasse. Il y a un dicton qui dit » Tout ce que tu partages devient moins lourd », physiquement et moralement aussi, c’est vrai.
Je crois que j’ai été chanceuse d’avoir de bons amis, Jean et son copain, ils ont été tous les deux très respectueux de ma souffrance qu’ils ne connaissaient pas parfaitement mais qu’ils imaginaient. Ils n’ont jamais profité de la situation en aucun sens.
Il y avait aussi la dame qui était notre voisine à notre arrivée aux Pins Rouges. Elle avait déménagé dans notre ancien loyer. Elle avait été élevée à la ville et était plus ouverte que la majorité des femmes du temps. Elle me faisait penser à ma tante Alma, c’était ma confidente.
Tu étais peut-être jalouse?
Mes parents me le disaient à la moindre occasion mais je ne penserais pas car si cela avait été le cas, il me semble je n’aurais pas eu autant soin de mon petit frère que j’aimais beaucoup, nous avions dix ans de différence et je jouais souvent à la mère avec lui, je gardais souvent aussi. Il me semble que je lui en aurais voulu et pourtant, jamais je n’ai eu ce sentiment pour lui. Je me sentais plutôt rejetée et incomprise.
Heureusement que je lisais beaucoup, j’avais toujours un livre ouvert et je passais souvent des parties de nuit sous les couvertures à lire à l’aide d’une lampe de poche. Mon amie Rita était abonnée et avait une bibliothèque assez bien fournie ce qui faisait mon bonheur. Avec un livre, on n’est jamais seul.
Une question qui n’a peut- être rien à voir… Est- ce que tu faisais du sport?
Malheureusement, il n’y avait pas de gymnase ou d’endroits déterminés pour occuper nos loisirs. La majorité du temps, les adolescents délaissaient l’école assez tôt et il n’apparaissait pas nécessaire de faire du sport. Il y avait toujours beaucoup de tâches ou de travaux à faire la maison pour aider les parents.
Les seules activités ont été le patinage durant l’hiver, et le tennis durant l’été. La municipalité avait enfin aidé les jeunes à acheter des matériaux afin de faire une patinoire en face de l’école, ainsi que des courts de tennis pour l’été.
Tous les travaux étaient exécutés par des jeunes de bonne volonté. Naturellement mes deux amis faisaient leur très grande part. Pour que la glace soit belle, ceux qui aidaient, devaient passer une partie de la nuit à arroser la patinoire. Il y avait une petite cabane avec un petit poêle comme nous en retrouvions dans les chantiers, pour nous permettre de mettre et d’enlever nos patins et nous réchauffer un peu.
Habituellement, des choses qui sont faites bénévolement, nécessitent beaucoup de motivation de la part de chacun et souvent il n’y a pas grand monde qui se donne la peine d’aider. Très souvent, seule une petite poignée d’individus, par leur engagement, soutiennent le mouvement pour bien souvent être critiqués par ceux qui ne font rien.
Vers 18 heures, les lumières étaient allumées et on faisait jouer des valses de Strauss. Cela permettait aux couples de se « coller » un peu et de patiner au son de la musique.
Comme je devais être entrée à la maison à dix-neuf heures, sauf exception, je n’avais pas grand temps pour en profiter.
Les garçons avaient alors formé des clubs de hockey et nous assistions, les après-midis de fin de semaine, debout près de la bande, dehors dans le froid, les pieds gelés comme des glaçons, aux parties de ces garçons. Et ce, même à des froids de 25 ou 30 degrés sous zéro.
Nous encouragions de nos cris et de nos commentaires les bons coups des participants. C’était difficile d’être partisans pour un côté plus que l’autre, nous avions toujours des amis dans chaque camp. Certains en profitaient d’ailleurs pour régler quelques petits différents.
Avez-vous remarqué comme nous sommes tenaces quand des événements ou des personnes nous intéressent ? Il n’y avait pas de froid ni de conditions ou de circonstances difficiles, pour nous empêcher d’assister ou de collaborer.
L’été, il y avait les parties de tennis. Tous les jeunes se ramassaient là, soit pour jouer ou regarder. C’était aussi l’endroit pour se donner rendez-vous. Le maximum de joueurs était de 8 car il y avait deux courts. Ainsi, il y avait presque toujours des remplaçants : ça mettait du piquant. Bientôt, on était pratiquement tous des experts et ça jouait dur.
Comme ces deux activités se tenaient au dehors, nous étions toujours limités par les tempêtes, le mauvais temps et la pluie. Les saisons où nous pouvions profiter de nos sports étaient courtes, trop courtes.
Je crois que celui qui a la chance de faire du sport peut apprendre beaucoup sur le comportement humain. En plus de l’aider physiquement à se développer, le sport contribue à former son caractère.
Un sport d’équipe demande du doigté, du civisme et une maîtrise de ses comportements. Il apprend aussi à gagner aussi bien qu’à perdre avec élégance. Il nous permet de dépasser certaines frustrations face à l’échec.
Avais-tu des amies qui allaient coucher chez toi de temps en temps ?
Non il était très rare que j’aie des amies qui viennent à la maison et je n’allais pas ailleurs non plus. Les familles semblaient être moins nombreuses qu’à Normandin mais je crois qu’elles avaient assez de monde à la maison. De plus, j’avais très peu d’amie car je passais la majeure partie de mon temps à la maison. J’aidais ma mère quand elle avait besoin et je m’occupais de mon turbulant petit frère et j’étais très surveillée.
C’était très tranquille chez moi, mon père était pratiquement toujours au travail et quand il était à la maison il se berçait en lisant avec sa petite bière à la main, il était très taciturne cependant dans les soirées il était très drôle. A cette époque, les journées de travail étaient très longues, ce n’était pas du 8 à 5 heures comme maintenant, les travailleurs pouvaient facilement passer 60 heures et plus au travail a des salaires de misère. Ma mère avait souvent de fortes migraines que je soignais avec des tranches de patates crûtes enveloppées dans un linge que je déposais sur son front. Pas de lumière ni bruit durant ces périodes assez longues ou elle était très souffrante.
C’est vous dire que l’atmosphère était bien différente qu’à Normandin où c’était plus vivant. J’avais toujours été entourée de mes cousins et cousines et des enfants du voisinage et la porte n’était jamais barrée et les sœurs de ma mère pouvaient venir à tout instant. Il y avait de la vie.
A ce stade de mes récits que j’envoyais régulièrement à mes petits amis français, nous étions rendus à la mi-mars.
Ils m’entretenaient de plus en plus souvent des préparatifs qu’ils planifiaient pour les cérémonies du 10e anniversaire de leur collège qui devaient se dérouler en juin.
J’étais toujours aussi occupée avec la nombreuse correspondance qui entrait régulièrement. Je les consultais en demandant à mes amis si mes récits les intéressaient toujours, car j’estimais que peut-être ils en avaient assez mais là, ils me disaient toujours de continuer. Je pris donc la décision de continuer jusqu’à mon mariage et ça semblait leur plaire que je me rende jusque-là.
Mais de plus en plus, une idée germait dans ma tête et faisait son petit bonhomme de chemin !
Allais-tu parfois en vacances à Normandin ?
Oui, tous les ans nous allions nous y promener avec plaisir et visiter la famille de ma mère. Nous avions été présenter mon petit frère à la parenté du Nouveau-Brunswick mais nous allions un peu moins à Maisonnette, ma grand-mère était décédée et le voyage n’avait plus le même attrait.
Sur cette photo prise en 1949, il y a jusqu’à quatre générations.
Nous avions fait le voyage spécialement pour aller présenter Stanley Jr à la parenté du Lac St Jean. Stan à coté de Louis Marie tous deux assis sur le bras de la galerie. Stan est devant mon père près de la colonne et ma mère à côté de lui. Mon grand-père Charles Fortin en avant, moi un peu en arrière à coté de ma grand-mère Marie Collard. Plusieurs frères, sœurs, et parenté de ma mère complètent le tableau.
Que faisais-tu lorsque tu allais à Normandin, on sent que tu vas nous dévoiler des choses?
Ah oui, vous avez raison. Je ne vous ai pas encore parlé de ma cousine Annette Vallée, du Rang Nord, à quelques kilomètres de Normandin.
Elle était plus âgée que moi de six ou sept ans, elle était la seule fille de la famille, elle avait plusieurs frères un peu plus âgés qu’elle. Elle n’avait aucune malice et était toujours d’accord, elle a été une personne marquante dans ma jeunesse et je lui en suis reconnaissante.
C’était une famille de cultivateur. Sa mère était la sœur de ma mère et sa marraine. Elle devait avoir vingt ans de plus que ma mère et était souvent malade. A cinquante ans, elle avait l’air d’une vieille femme, elle était très douce et ne parlait pas fort, elle avait un cœur d’or et je l’aimais beaucoup.
Pourquoi aimais-tu cet endroit ? Qu’est ce qui se passait ?
J’aimais cela car Annette était encore célibataire. J’avais entre quatorze et dix-sept ans et comme la parenté était grande, mes parents me perdaient un petit peu de vue et j’en profitais au maximum. J’étais en vacances pour quelques jours et j’essayais de passer le plus de temps chez ma cousine.
Elle était au courant de toutes les soirées des alentours. Sur sept soirs nous pouvions sortir quatre soirs. Nous nous levions très tard et personne ne nous faisait de reproche. Quel changement, c’était des vacances ! Quand les soirées étaient tranquilles, j’en profitais pour aller voir les autres parents.
Moi qui aimais danser et qui n’en avais jamais l’occasion, je m’en donnais à cœur joie avec ma cousine.
Avant de partir pour la veillée qui ne commençait jamais avant 21 heures, Annette se maquillait beaucoup. Elle en mettait autant sur ma figure pour me vieillir un peu. J’avais l’air de passer pour l’halloween tant j’étais maquillée. J’avais du plaisir, je lâchais mon fou. Mon doux que ça faisait du bien!
J’étais à peu près de sa grandeur et elle me prêtait des robes bien trop vieilles pour moi. J’avais l’impression de ne pas être réelle, tant cette façon de faire était différente de ma vie tranquille de tous les jours.
Il y avait une coutume au Lac- St- Jean : lors de la célébration des mariages, vu que les familles étaient très grandes et qu’il y en avait beaucoup, seuls les parents proches étaient invités pour le repas, mais le soir, c’était la fête pour tous ceux qui voulaient s’y rendre.
Les gens payaient leurs consommations et les salles immenses étaient toujours bondées. Une liqueur coûtait moins cher que la taxe d’aujourd’hui. Pour quelques sous, nous pouvions nous désaltérer. Une consommation de bière ou d’alcool pouvait coûter 40 ou 50 sous. Moi je ne dépensais pas beaucoup car je ne prenais jamais d’alcool.
Il y avait toujours un orchestre du tonnerre. Les musiciens étaient des gens de la place. Ils avaient appris à jouer à l’oreille, pour la majorité, sans jamais avoir suivi de cours. Ils avaient commencé jeune à écouter et regarder les ainés et, à force de pratiquer, ils étaient devenus des pros au fils des ans.
On jouait du violon, de la guitare, de la musique à bouche, du piano et de l’accordéon, sans fausse note et sur des airs les plus entraînants les uns des autres. Les gens du Lac St Jean sont reconnus pour être des gens très accueillants et de parties, où qu’on aille, nous étions toujours bien accueillies
Il faut avoir entendu les » réels « , pièces de musique du Lac- St- Jean pour savoir de quoi je parle, c’est tellement entraînant que même si on n’a jamais dansé, hé bien on se laisse entraîner.
Les danses du temps les plus populaires étaient plutôt des danses carrées, et des Pol Jones.
Une danse carrée est dirigée par un meneur qu’on appelait un »caller ». Ce sont plusieurs couples par groupes de huit qui se font aller en »swinguant la bacaisse » dans le fond de la boite à bois….rire.
Je suis pas mal certaine, que vous petits français, ne comprenez pas un traitre mot de ce que je vous explique…rire…mais sachez qu’ils n’y a rien de mieux pour oublier nos soucis et se réchauffer.
Un Pol Jones, c’est une danse qui permet d’avoir beaucoup de danseurs en même temps, qu’on soit accompagné ou non on se présente sur le plancher de danse.
Les hommes font un cercle en tournant d’un côté de la salle et les femmes dans le milieu vont dans l’autre sens au son d’une musique entraînante. Tout à coup, le rythme change et c’est alors un slow. La personne qui se présente devant toi est celle avec qui tu danseras cette valse, et ainsi de suite.
Je trouvais cependant que les hommes surtout, buvaient beaucoup. Les caisses de bière se retrouvaient sous les bancs et la majorité, même les jeunes, buvaient. Quand je voyais qu’il y en avait qui semblaient être trop réchauffés, je demandais à ma cousine de nous faire reconduire à la maison. Comme il y avait toujours un couple de ses frères qui étaient présents, nous ne courrions aucun risque. Il me semble que ma cousine ne prenait pas d’alcool non plus.
Depuis mon tout jeune âge je n’avais que très peu de tolérance envers les gens qui se déplaçaient à cause de la boisson. Au contact de ceux-ci toute ma bonne humeur disparaissait.
Il me semble, qu’à cette époque il y avait moins de danger qu’aujourd’hui et nous étions pas mal en sécurité partout. Nous pouvions passer des soirées avec des étrangers sans être importunés. Il y avait plus de respect de la personne.
Nous avions à peu près tous la même éducation avec des principes assez stricts et la crainte du péché en modérait plus d’un.
Le fait qu’il n’y ait pas de drogue éliminait aussi beaucoup de comportements agressifs j’imagine.
Je n’ai jamais entendu parler qu’une jeune fille se soit fait agressée ou violentée. L’agresseur aurait vite été pris à parti j’imagine. Aujourd’hui personne n’ose se porter à la défense de personne. Il a trop peur d’être agressé à son tour.
Bien sûr, je ne connais pas tout, j’étais bien innocente des dangers qui pouvaient survenir, j’avais confiance. Ce que je vivais ici était tellement différent de ma petite vie tranquille que j’avais l’impression d’être une autre personne, sur une autre planète.
Il me semble, qu’en général, il y avait beaucoup moins de violence qu’aujourd’hui chez les adolescents et les jeunes adultes. Que ce soit dans les rues, dans les lieux publics ou dans les écoles, nous ne connaissions pas le genre d’intimidation que nous retrouvons malheureusement de nos jours. Le respect de l’autorité faisait aussi partie de notre mentalité.
Est-ce que tes parents savaient que tu allais danser ?
Quand ils l’apprenaient, c’était trop tard. Les vacances finissaient et j’étais revenue avec tous mes morceaux et je ne regrettais rien. J’avais vécue quelques moments de liberté grandement appréciés.
Ils me faisaient bien sûr des remontrances et me disaient que ça ne se reproduirait plus. Je ne disais rien, je m’étais bien amusée et j’espérais que l’année suivante, ils ne s’en souviendraient plus.
Je me rappelle aujourd’hui toutes ces expériences que j’ai faite au contact de ma parenté. On ne réalise pas toujours la chance qu’on a d’avoir une famille nombreuse et comment tout ce que cela apporte comme enseignements.
J’avais aussi d’autres oncles, tantes, cousins et cousines dont je n’ai pas parlé, ils étaient aussi très importants pour moi mais comme ils ne demeuraient pas à proximité je les voyais moins. On dirait qu’on prend comme acquis qu’ils sont là pour nous, qu’ils font partie de notre vie de tous les jours mais je leur dois aussi beaucoup pour la tendresse qu’ils m’ont apportée.
Ils y a un dicton qui dit; » Si jeunesse savait et si vieillesse pouvait » comme il y aurait des choses qui se vivraient différemment.
Il ne faut cependant pas regretter ce qui a été fait car c’est l’expérience de la vie qui se fait tout doucement et c’est la somme de toutes nos expériences, bonnes ou moins bonnes qui fait de nous ce que nous sommes.
Quelques photos de mon adolescence
Pour les gens de ma génération, ces récits doivent vous ramener très loin dans le passé. J’espère que cela vous fait revivre de bons moments !